Directeur général de la Confédération de la Construction de Wallonie, Francis Carnoy plaide pour un grand plan logement dans notre région. «Il faut stimuler l’investissement privé sinon, nous irons vers une crise du logement», tempère-t-il. Entretien.
CCImag’ : On connaît le slogan « Quand le bâtiment va, tout va ». On parle de « frémissement » de reprise, est-ce un phénomène que vous observez dans la construction ?
F.C. : « Le slogan vaut dans les deux sens ! Quand l’économie en général va bien, le bâtiment va bien aussi ! Mais il est vrai que la construction a été le moteur et a tiré l’économie wallonne entre 2000 et 2008. Pendant cette période, le secteur a connu une croissance en Wallonie, supérieure à celle de la Flandre. En 2008, pour les raisons que l’on sait, il y a eu une cassure conjoncturelle. La confiance des ménages a continué à s’effriter en 2011 à la suite, notamment, de certaines décisions fiscales prises par le Gouvernement fédéral – je pense, par exemple, à la fin du « prêt vert » et de la déductibilité des travaux économiseurs d’énergie. Le secteur de la construction a largement souffert de cette situation parce que de nombreuses familles ont renoncé à construire ou rénover. Aujourd’hui, la conjoncture joue au yoyo, avec des hauts et des bas, et on ne peut pas encore parler de véritable reprise.
Je relève néanmoins un élément positif en Wallonie, le plan « Alliance Emploi-Environnement » lancé par le Gouvernement wallon. Cette initiative vise à encourager la rénovation énergétique du bâti wallon par des incitants financiers, des primes et des prêts à taux zéro. Ces mesures prises au niveau régional ont, en quelque sorte, compensé la réduction des incitants fiscaux décidée par le Gouvernement fédéral, ce qui a permis une stabilisation du secteur en Wallonie. »
CCImag’ : Par contre, l’Europe, décidément très critiquée, ne joue pas un rôle très positif…
FC : « Non, en effet ! D’abord, le contrôle des banques a été renforcé au niveau européen, ce que l’on peut comprendre, mais cela rend plus difficile l’octroi des prêts hypothécaires aux particuliers et la première victime, c’est évidemment le secteur du bâtiment. Ce qui nous inquiète encore plus, c’est la directive européenne sur le contrôle du niveau d’endettement des pouvoirs publics, y compris des communes. Or, il faut savoir que les communes représentent la moitié des investissements publics. Si pour réduire leur endettement, les communes cessent d’investir, c’est la catastrophe.»
Il faut développer les partenariats public-privé
CCImag’ : Que faire dès lors pour relancer la mécanique ?
FC : « Nous sommes entrain de préparer un mémorandum à l’intention des différents partis, qui vont bientôt entrer en campagne électorale et préparer leurs programmes. Nous demandons d’abord le renforcement du plan « Alliance Emploi-Environnement ». Nous souhaitons aussi que, à côté des budgets d’investissements publics, l’on encourage les financements alternatifs : si les pouvoirs publics doivent réduire leurs investissements, notamment pour les raisons évoquées plus haut, il faut développer les synergies avec les investisseurs privés. Je pense, par exemple, à la construction d’une piscine. Si une commune n’a pas les moyens d’investir 10 millions €, le secteur privé doit pouvoir l’aider et se rémunérer. Dans ce domaine crucial des investissements en équipements collectifs, il faut être plus imaginatif. Pourquoi ne pas inviter les Fonds de pension et compagnies d’assurances, qui disposent de moyens colossaux, à s’intéresser au secteur immobilier qui représente un investissement sûr. Ce serait une bonne façon d’investir dans l’économie réelle plutôt que de spéculer…
Il faut aussi un grand plan logement en Wallonie pour relever le défi démographique. Après une période de stagnation, depuis dix ans, la population wallonne augmente et devrait atteindre les quatre millions d’habitants en 2026. Il y aura alors deux cents mille ménages en plus, l’équivalent des villes de Liège et Charleroi ! Il faudra plus d’écoles, plus de crèches, plus de logements. Les pouvoirs publics ne pourront pas tout faire, il va donc falloir, je le répète, stimuler l’investissement privé. Sinon, nous irons vers une crise du logement qui, immanquablement, entraînera une hausse des prix. Pour construire, il faut disposer de terrains, notamment à proximité des agglomérations car l’heure n’est plus aux longs déplacements vers les campagnes. Il faut recycler les territoires urbains et, pour reprendre une expression du ministre Marcourt, « reconstruire la ville sur la ville ». Il faut revitaliser et densifier les villes. Bref, il y a du pain sur la planche en matière d’aménagement du territoire ! »
Maîtriser les coûts de la construction
CCImag’: Le rôle du Gouvernement wallon est d’autant plus important qu’il va hériter de nouvelles compétences.
FC : « Oui, et nous y sommes très attentifs. Par exemple, la fiscalité immobilière : la déductibilité fiscale des prêts hypothécaires sera-t-elle maintenue au niveau régional ? C’est évidemment fondamental car c’est un élément très sensible pour le bâtiment. Il ne faudrait pas faire comme aux Pays-Bas où le secteur de la construction a fini par s’effondrer. Or, on manque déjà de logements. Je sais que c’est un peu la tarte à la crème mais, pour produire plus de logements, il faudra vraiment que le Gouvernement wallon réduise la lourdeur et la lenteur des différents services d’urbanisme qui renchérit les projets. Or, les prix de la construction ont déjà trop augmenté (matériaux, salaires, énergie, charges administratives…). Pour y remédier, il faut aussi développer la préfabrication, un des crédos du pôle de compétitivité GreenWin. Par contre, attention aux exigences énergétiques trop ambitieuses : oui aux maisons « basse énergie », mais prudence pour les maisons « passives » dont le surcoût n’est pas toujours écologiquement et économiquement justifié.»
Qualiwatt pour relancer la photovoltaïque
CCImag’ : Voilà qui nous amène à parler des panneaux solaires et du dossier du photovoltaïque…
FC : « Un dossier dans lequel le Gouvernement wallon a trop tergiversé avec Solwatt, ce qui a provoqué la bulle des certificats verts. Mais regardons vers
l’avenir ! Le 1er novembre, un nouveau système sera lancé, Qualiwatt. Il sera moins généreux mais c’est normal. Il ne sera plus question de certificats verts mais d’une prime annuelle pendant cinq ans, qui garantit la rentabilité de l’investissement après huit années. Cela devrait relancer le secteur du photovoltaïque où deux tiers des entreprises ont fait faillite, ces derniers mois. »
CCImag’ : Lors des Journées du Patrimoine, la CCW a voulu mettre en valeur les métiers de la restauration du patrimoine immobilier. C’est un créneau intéressant ?
FC : « En tant que premier secteur recruteur de Wallonie avec huit mille embauches chaque année, la CCW souhaite mettre en valeur toutes les filières et tous les métiers techniques et manuels. Nous disons : « Venez travailler dans la construction, ce sont de beaux métiers, technologiques, bien payés et beaucoup moins dangereux qu’auparavant. » La restauration de notre patrimoine est un créneau important. Les bâtiments anciens peuvent être non seulement rénovés mais transformés en logements, en bureaux. Malheureusement, les budgets publics sont en baisse et j’en reviens aux financements alternatifs avec le secteur privé. C’est important parce que cela préserve un noyau dur d’emplois locaux.»
Pour un micro-protectionnisme légal…
CCImag’: Malgré la concurrence déloyale de la main d’œuvre étrangère ?
FC : « On a voulu l’Europe, avec la libre circulation des travailleurs mais sans la libre circulation des contrôleurs ! Si on ne rétablit pas une concurrence loyale au sein de l’Europe, ce sera en effet dramatique pour la main d’œuvre locale et le financement de notre « Sécu ». Il faut absolument que les autorités européennes prennent des mesures en la matière mais en attendant, il est possible d’agir par ce que j’appelle un « micro-protectionnisme légal », en renforçant certains contrôles, en incluant dans les contrats des clauses sociales, environnementales, de formation ou de maintenance, afin d’éviter l’appel ponctuel à des travailleurs étrangers, moins payés et, surtout, socialement moins bien protégés. »
CCImag’ : La Wallonie devra être financièrement autonome en 2022. Le secteur de la construction se présente comme un élément-clé de l’indispensable développement wallon.
FC : « Nous appelons de nos vœux et nous soutiendrons une politique de ré-industrialisation. Pour nous, elle doit s’articuler autour de deux axes : 1) une stratégie à l’exportation qui fera en sorte que nos entreprises seront plus compétitives sur les marchés internationaux et 2) une relance de la demande intérieure par une politique qui soutienne la construction durable, notamment en répondant aux défis démographiques et énergétiques dont j’ai déjà parlé.»
CCImag’ : Dans son discours des Fêtes de Wallonie, Rudy Demotte a parlé de plein emploi à l’horizon 2025. Vous y croyez ?
FC : « Il faut des objectifs ambitieux et si le plan Marshall 2022 réussit, pourquoi pas ? Mais on n’y arrivera pas sans la construction. Plus fondamentalement, il faut que le Wallon retrouve la confiance en soi et, surtout, il faut une union sacrée entre le patronat et les syndicats. Ceux-ci commencent à comprendre que la richesse à redistribuer vient des entreprises. C’est un bon signe ! Tout comme la volonté du Gouvernement wallon de reconstituer au plan régional le « Groupe de Dix » qui rassemble les représentants des travailleurs et des employeurs. Nous n’y arriverons que par le dialogue et en nous serrant les coudes.»
BIO EXPRESS
- 53 ans
- Licencié en sciences géographiques UCL 1982
- Licencié en sciences économiques UCL 1985
- Directeur général de la CCW depuis 2005
- Marié, trois enfants