Entretien avec Philippe Suinen, nouveau président du conseil d’administration des Chambres de Commerce de Wallonie.
CCImag’ : Vous êtes le nouveau président du conseil d’administration des Chambres de Commerce de Wallonie. C’est l’occasion de rappeler leurs rôles et leurs implantations.
Ph.S. : « Il y a cinq Chambres de Commerce en Wallonie : Liège-Verviers-Namur, Luxembourg, Brabant Wallon, Hainaut et Wallonie Picarde qui couvre le territoire du Hainaut Occidental. Il faut y ajouter une réminiscence des « Cantons de l’Est », la Chambre de Commerce Eupen-Malmédy qui dispose d’un statut d’associée et est invitée au conseil d’administration. On connaît surtout le rôle des Chambres de Commerce au niveau de la délivrance des documents internationaux mais leurs missions vont bien au-delà des simples questions administratives. En fait, les Chambres de Commerce sont au service des entreprises dans différents domaines : formation, cours de langues, conseils, guidance, coaching, contacts avec les services publics. Il y a aussi de plus en plus d’organisations de meetings et de rencontres dans le but de créer la mise en réseau et le dialogue entre les entreprises d’une même région. Et puis, pour en revenir à l’aspect international, une des grandes valeurs ajoutées des Chambres de Commerce, c’est leur réseau grâce auquel il est possible de créer des relations partout dans le monde, « de Luxembourg à Hambourg et d’Ekatarinenbourg à Johannesbourg ». En outre, il faut tenir compte des Chambres de Commerce belges à l’étranger, par exemple à Cologne, ou les Business Club comme en Slovénie. C’est un véritable filet ! Et j’aime aussi faire remarquer que, mise à part la Chambre de Commerce du Brabant wallon, toutes les autres sont frontalières…»
CCImag’ : On parle ici d’un domaine que vous connaissez particulièrement bien en tant qu’ancien directeur général de l’AWEX.
Ph.S. : « En effet. Il y a d’ailleurs une complémentarité – et pas une concurrence ! – avec l’AWEX et de nombreuses activités sont menées conjointement ou en collaboration.»
Les CCI et la glocalisation
CCImag’ : Pour résumer le rôle des Chambres de Commerce, vous utilisez volontiers un néologisme qui est très à la mode, la « glocalisation ».
Ph.S. : « Oui, cela signifie la double nécessité de l’enracinement local et de l’ouverture sur le monde. C’est exactement ce que font les Chambres de Commerce : à la fois très présentes dans leurs régions et au service des entreprises désireuses d’exporter.»
CCImag’ : Pendant un quart de siècle, vous avez été « Monsieur exportations wallonnes », vous poursuivez sur votre lancée en quelque sorte.
Ph.S. : «Et ce n’est pas un dada mais une conviction ! L’exportation est indispensable à l’économie wallonne, tout simplement parce que le marché intérieur est trop petit.»
Un succès de la Flandre n’est pas une défaite pour la Wallonie !
CCImag’ : La Wallonie exporte moins que la Flandre…
Ph.S. : «C’est exact. La proportion est de 80%/20% alors que, si l’on tient compte de la population, elle devrait être de 2/3-1/3. Mais cela mérite quelques commentaires. D’abord, un succès de la Flandre n’est pas automatiquement une défaite pour la Wallonie ! La Flandre est notre premier partenaire, c’est aussi avec les Etats-Unis, le premier investisseur en Wallonie. Ensuite, les chiffres sont parfois trompeurs. La Flandre possède trois ports de mer (Anvers, Gand et Zeebrugge, ndlr) où des marchandises venant de l’étranger sont traitées avant d’être embarquées et sont donc comptabilisées dans les exportations flamandes. Il n’empêche qu’il est exact que la Flandre exporte plus que la Wallonie qui a reçu en plein visage la « claque » de la restructuration de la sidérurgie.»
CCImag’ : Il y a peut-être aussi une question de tempérament ?
Ph.S. : «Le Wallon est par nature ouvert à l’autre mais il rechigne à l’embêter avec ses produits. Or, pour réussir à l’exportation, il faut se mettre en avant. La Wallonie doit mettre en valeur sa diversité, source de créativité. Cette créativité est une réalité : la Wallonie vient d’être désignée district européen de créativité au même titre que la Toscane, terre ancestrale des Etrusques et aujourd’hui une des régions les plus dynamiques d’Italie. Il faut donc que la Wallonie se fasse mieux connaître à l’étranger. Un bon moyen, c’est d’attirer chez nous des évènements internationaux comme à Liège en 2015, le deuxième Forum de la Langue française qui mettra en contact des jeunes entreprises issues de toute la Francophonie, ou à Charleroi en 2019, le Mondial des Métiers. En parlant de Francophonie, la culture est aussi un excellent vecteur de développement et de reconnaissance internationale. Ceci dit, je tiens quand même à préciser que les efforts ne datent pas d’aujourd’hui ! Depuis 1996, le taux de croissance des exportations wallonnes est supérieur à celui de la Flandre et se situe juste derrière celui de l’Allemagne et des Pays-Bas. Grâce notamment au plan Marshall, la Wallonie va en tout cas mieux que ce que certains veulent bien en dire… »
Faire preuve de rigueur, c’est normal !
CCImag’ : Pourtant, les mots rigueur et compétitivité reviennent de façon lancinante et la Wallonie serait moins performante que la Flandre.
Ph.S. : « Il y a quelque chose qui m’étonne. Pour certains, le terme rigueur prend de plus en plus une connotation péjorative alors que tous les organismes publics ont le devoir de gérer le mieux possible, en bon père de famille. On semble oublier que l’Etat ne fait que recycler l’argent des contribuables. Donc, oui à la rigueur budgétaire, c’est l’intérêt de l’ensemble de la collectivité. Mais il ne faudrait pas que cette rigueur pénalise les entreprises, au contraire, il faut les soutenir. Il faut certainement affiner les aides publiques et éviter les « effets d’aubaine » avec des subventions octroyées à des sociétés qui n’en ont pas besoin. Il faut encore mieux cibler mais, de grâce, ne pas couper dans les budgets qui concernent les relations internationales. J’insiste une fois encore sur la nécessité absolue de favoriser les exportations et donc les contacts internationaux.»
CCImag’ : On entend aussi que pour vendre, il faut absolument améliorer la compétitivité.
Ph.S. : « Il faut en tout cas créer un contexte favorable pour les entreprises, cela c’est certain. Mais cela suppose une réflexion globale sur la compétitivité. Certes, les entreprises doivent disposer des conditions nécessaires pour « performer » mais la dimension sociale est importante aussi. Il faut savoir si on veut conserver notre modèle actuel de société inclusive ou si on veut la remplacer par une société d’exclusion. Les coûts de production sont évidemment un élément-clé mais la compétitivité ne se limite pas au seul aspect financier. Le prix n’est pas l’unique argument de vente. Il y a aussi l’attractivité. Pour faire face à la concurrence, la Wallonie doit proposer des produits attrayants par leur originalité et leur qualité.»
Le profit est nécessaire
CCImag’ : On entend souvent aussi qu’il y a en Wallonie un problème de mentalité.
Ph.S. : « Je suis assez d’accord. Pendant des décennies, la Wallonie a connu la prospérité grâce à l’industrie lourde. Il y a sans doute moins en Wallonie qu’en Flandre la culture de l’entreprise. Dans le nord du pays, l’échec n’y est pas stigmatisé mais considéré au contraire comme l’occasion d’un rebond et on y est peut-être plus convaincu qu’en Wallonie que sans profit, il n’y a pas d’entreprise et que sans entreprise, il n’y a pas d’emplois.»
CCImag’ : Des propos d’un ancien grand commis de l’Etat qui doivent plaire aux représentants du patronat…
Ph.S. : «Mais je vous rassure ! Le triangle Chambres de Commerce – Union Wallonne des Entreprises – Union des Classes Moyennes est très solide et fonctionne très bien. C’est différent de la Flandre où le VOKA regroupe le VVE et les Chambres de Commerce mais pas l’UNIZO, l’équivalent flamand de l’UCM. En Wallonie, il existe une grande complémentarité entre les trois organismes : l’UWE favorise les contacts avec les grands donneurs d’ordre, on a vu le réseau que constituent les Chambres de Commerce et l’UCM représente tous les indépendants. Il est d’ailleurs question de créer une plate-forme commune afin d’éviter les querelles de clocher et réfléchir ensemble sur des questions telles que la compétitivité – on y revient ! -, le coût de l’énergie ou la créativité de nos entreprises. Ensemble, nous voulons surtout mettre sur pied un véritable partenariat privé-public avec les différents gouvernements régionaux et communautaires. Afin que la Wallonie atteigne son objectif : réussir le projet de développement prévu par le plan Marshall pour 2022, lorsque, budgétairement, la Région devra voler de ses propres ailes. Totalement.»