Wouter van Gulck,
General Manager de Belgian Chambers
CCIH : En quoi consiste la directive européenne des lanceurs d’alerte ? Et où en est-on aujourd’hui (dans l’application de cette loi) ?
W. van G. : la directive européenne de la protection des lanceurs d’alerte est un acte normatif de l’UE qui ordonne aux états membres de mettre
en place des règles minimales et des procédures pour protéger les lanceurs d’alerte.
S’il faut retenir deux choses de cette directive, c’est que :
– elle vise à une meilleure protection des lanceurs d’alerte contre d’éventuelles représailles ; et
– qu’elle introduit l’obligation pour les entreprises de plus de 50 employés de mettre en place un canal interne de signalement.
Le champ d’application de la directive se limite aux infractions au droit communautaire signalées dans la directive, telles que celles relatives aux marchés publics, aux services financiers, à la sécurité des produits, à la sécurité alimentaire, à la protection de l’environnement, à la santé publique, à la protection des consommateurs ou à la protection des données, mais les États membres ont la possibilité d’étendre le champ d’application. La Belgique étendrait effectivement le champ d’application à la fraude fiscale et sociale.
Un autre élément important est que la directive protège les lanceurs d’alerte du secteur privé ou public qui ont obtenu des informations sur des violations dans un contexte lié au travail. Il peut s’agir non seulement de salariés ou de fonctionnaires, mais aussi de travailleurs indépendants, d’actionnaires, d’administrateurs, de stagiaires, de candidats à un emploi, d’anciens salariés et de toute personne travaillant sous la supervision et la direction de contractants, de sous-traitants et de fournisseurs.
L’intention est toujours de faire voter la loi avant les vacances parlementaires d’été qui commencent le 21/07, avec une entrée en vigueur deux mois plus tard. En l’état actuel des choses, nous parlons alors de la fin du mois de septembre.
CCIH : Quelles entreprises sont concernées par ce dispositif et que doivent-elles mettre en œuvre ?
W. van G. : Toutes les entreprises seront concernées par cette directive, mais l’obligation de mettre en place un canal de signalement interne s’applique spécifiquement aux entreprises comptant au moins 50 travailleurs. La directive (et aussi le projet de loi belge qui suit la directive) prévoit une entrée en vigueur progressive à cet égard : le 17 décembre 2023 pour les entreprises de 50 travailleurs ou plus.
En outre, les entreprises doivent faire tout leur possible pour protéger un lanceur d’alerte contre les représailles, y compris les menaces et les tentatives de représailles. Toutefois, il existe une condition importante : le lanceur d’alerte doit agir de bonne foi et avoir des motifs raisonnables de croire que l’information rapportée était vraie au moment du rapport et rentre dans le cadre de la directive.
Le canal interne doit garantir qu’un signalement peut être effectué de manière sécurisée, de sorte que la confidentialité de l’identité du lanceur d’alerte et de celle des tiers soit garantie et que des membres du personnel non autorisés n’y aient pas accès. Le canal doit également veiller à ce que le lanceur d’alerte reçoive un accusé de réception dans les 7 jours et que le signalement fasse l’objet d’un suivi attentif dans un délai raisonnable (normalement, trois mois après l’accusé de réception) et que le lanceur d’alerte reçoive le retour d’information nécessaire. Avec ce canal de signalement interne, les lanceurs d’alerte potentiels se voient offrir une troisième option de signalement, en plus d’un canal externe mis en place par le gouvernement. Pensez au Médiateur fédéral et aux organismes sectoriels (tels que la FSMA, la BNB, l’AFSCA, ou l’Autorité de Protection des Données) ou la presse.
CCIH : En quoi la Fédération est-elle impliquée dans ce dossier et quel est son rôle ? Pourquoi s’être engagé dans ce processus ?
W. van G. : De nombreuses entreprises voient dans cette législation une charge administrative supplémentaire. Nous sommes bien conscients que les entreprises devront s’organiser, mais à la Fédération, nous osons croire qu’il y a aussi des éléments positifs dans cette nouvelle obligation et nous voulons donc aider les entreprises à aborder cette réglementation sous un angle positif. Bien sûr, aucune entreprise ne souhaite être confrontée à un lanceur d’alerte, mais vous ne pouvez pas l’exclure. Dans de tels cas, il est préférable pour un lanceur d’alerte d’utiliser un canal interne plutôt que d’utiliser un canal externe, voire de s’adresser à la presse.
Le signalement par un lanceur d’alerte n’est, bien sûr, pas une chose agréable, mais cela peut être un signe que les choses vont sérieusement mal dans l’entreprise. Par exemple, un signalement interne par un administrateur ou un employé peut aider une entreprise à détecter une fraude à un stade précoce, avant qu’un fournisseur ou un actionnaire mécontent n’en parle à la presse. Ainsi, du point de vue de la gestion des risques, de l’efficacité, de l’intégrité et de la gouvernance, une procédure appropriée pour les lanceurs d’alerte est certainement indispensable. Nous voyons également un lien clair avec les 17 objectifs de développement durable des Nations unies. Par exemple, l’ODD 16 demande aux organisations d’éliminer la corruption et les pots-de-vin sous toutes leurs formes, de garantir l’accès à la justice et de mettre en place des institutions efficaces, responsables et transparentes. Pour toutes ces raisons, nous pensons que chaque entreprise – et pas seulement celles qui comptent plus de 50 employés – aurait intérêt à élaborer un plan clair pour la réception et le suivi de signalements par un lanceur d’alerte. Cela inclut un canal de signalement interne, de préférence anonyme. Anonyme, car cela devrait abaisser le seuil de signalement.
Les entreprises qui souhaitent offrir un canal de signalement sécurisé aux lanceurs d’alerte peuvent bien sûr le mettre en place elles-mêmes, mais techniquement, ce n’est pas toujours évident. En tant que CCI , nous considérons qu’il est de notre devoir d’aider les entreprises à implémenter la nouvelle réglementation. Non seulement en mettant en place les canaux, mais aussi en développant les bonnes procédures et, si nécessaire, en assurant le suivi des rapports. Nous voyons les chambres de commerce comme des partenaires neutres, des tiers de confiance. Nous ne sommes ni une organisation d’employeurs ni un syndicat. Nous représentons les intérêts des entreprises et de tous ceux qui y travaillent. Il est dès lors logique d’aider les entreprises à mettre en œuvre cette nouvelle obligation. Obligation, je répète, qui est dans l’intérêt de toute l’entreprise et qui peut contribuer à une meilleure gestion de l’entreprise.
CCIH : Comment ça s’organise avec les CCI, de manière plus concrète (actions, webinaires,…) ?
W. van G. : En premier lieu, il est important de donner aux entrepreneurs les bonnes informations sur la nouvelle réglementation. Dans les semaines et mois à venir, les chambres organiseront donc des séances d’information et de formation, au cours desquelles nous informerons les entreprises sur leurs devoirs et les risques, mais en même temps nous voulons replacer la législation dans un contexte plus large et mettre en évidence la valeur ajoutée pour les entreprises. Par la suite, les chambres pourront accompagner les entreprises qui veulent aller plus loin à mettre en place une politique de lanceurs d’alerte : pour quels types de signalements, canal anonymisé ou non, quel suivi à donner par qui, etc.
Les canaux de signalement, avec possibilité de signalement anonyme, constituent l’élément clé de notre offre. A la demande des entreprises, nous pouvons mettre en place ces canaux et assurer qu’ils fonctionnent à tout moment et qu’ils répondent aux exigences de sécurité, de protection des données et de fiabilité. À cette fin, nous coopérons avec nos collègues de la Chambre de commerce finlandaise qui ont déjà une expérience considérable dans ce domaine. Mais je dois accentuer que le rôle des CCI dans les canaux de signalement se limite à celui d’un fournisseur d’une solution technique. A aucun moment, les CCI n’auront accès aux signalements que les lanceurs d’alerte auraient rapportés par le biais du canal. Cet accès sera limité à la personne désignée par l’entreprise elle-même. Cependant, la CCI peut aider une entreprise à trouver la personne la plus idéale pour gérer le canal et assurer le suivi des signalements, soit en interne dans l’entreprise, soit par une personne externe. Et, bien sûr, la CCI pourra également conseiller les entreprises sur le suivi d’un signalement, mais toujours à la demande de l’entreprise, car la chambre elle-même n’a pas accès au signalement.
En bref, nous souhaitons offrir aux entreprises un service complet, centré sur les canaux de signalement internes, ainsi qu’une aide à l’élaboration d’une politique et au traitement des signalements, en coopération avec nos
partenaires.