Avec sa savoureuse pointe d’accent qu’il a conservée du Pays du Soleil Levant, Toshiro Fujii avoue en riant que l’un des premiers plats qu’il a cuisinés était « totalement raté » (sic) ! A l’époque, plongé dans un livre de cuisine italienne, l’adolescent de 12 ans souhaite reproduire un plat typique de la « Botte » : le spaghetti carbonara ! Si le résultat n’est pas à la hauteur de ses espérances, cela n’étouffe pas sa vocation dans l’œuf puisque, quelques années plus tard, il s’inscrit dans une école culinaire réputée à Osaka ; il y découvre les subtilités et techniques de la cuisine italienne, mais également française, espagnole, chinoise et évidemment, japonaise.
Naviguant à travers l’étendue et la variété de cet art, le jeune chef se laisse alors guider, derrière les fourneaux, par des influences d’ici et d’ailleurs ; au demeurant, estime-t-il, les frontières sont de plus en plus perméables entre les différentes cuisines. Aujourd’hui, chacune emprunte à l’autre une pincée de ses saveurs, un zeste de ses procédés, une ligne de ses recettes…
Du Sanglier des Ardennes à son propre établissement…
En sortant des études, Toshiro travaille dans les cuisines d’un hôtel, au Japon, essentiellement chargé des buffets froids.
Arrivé en Belgique en 2002, il entre au Sanglier des Ardennes. A Durbuy, il continue de se perfectionner dans « toutes les bonnes techniques classiques » de cuisine (sic). Il les complète, dès 2009, par des techniques plus innovantes, au sein de l’établissement L’Air du temps (ndlr : 2 étoiles au Guide Michelin et 19/20 au Gault & Millau) où il rejoint le chef Sang Hoon Degeimbre. « C’était le début de la cuisine moléculaire ! », se remémore celui qui deviendra le « second » de cette maison réputée à Eghezée.
Enishi, en japonais, cela signifie « rencontre avec le destin ». C’est ce dernier qui m’a conduit en Belgique, à l’invitation d’un ancien collègue dont le patron souhaitait compléter l’équipe du « Sanglier des Ardennes » ! (Toshiro Fujii)
En 2015, en qualité de chef exécutif et consultant, il ouvre SAN Bruxelles, puis, en 2016, SAN Sablon du chef Sang Hoon Degeimbre et, le dernier de la triologie « SAN », SAN Gent, en 2017. Il s’y réjouit de cette gastronomie faisant ressortir les produits d’autant plus intensément que ceux-ci sont servis dans un bol sans fioritures, accompagnés d’une simple cuillère.
Cette recherche de la sobriété, des « notes justes », anime toujours aujourd’hui le quadragénaire soucieux d’exalter la délicatesse de la chair d’un poisson, la saveur d’une viande.
La recherche de la sobriété…
Il s’ingénie, dit-il, à « mettre le spot » (sic) sur l’élément central de son assiette. « Je n’aime pas être perdu dans trop de goûts, avec ça, puis ça, puis encore ça… admet Toshiro qui, en ce chapitre, ne peut renier l’influence de la cuisine japonaise. « Dans certains étoilés, il y a parfois trop d’ingrédients pour moi et donc, je suis un peu « perdu » dans tout cela. Ce qui est le plus important, pour moi, c’est vraiment le goût, ensuite la présentation… Et si le service suit, c’est la perfection, bien sûr ! »
En janvier 2023, Toshiro réalise son rêve : ouvrir son propre établissement. C’est à Waterloo qu’il trouve un emplacement pour greffer une paire d’ailes à son projet, à la chaussée de Bruxelles… A la chaussée de Bruxelles, il y concocte dans un décor épuré une cuisine raffinée, mélange de saveurs japonaises et de touches de gastronomie française. « Nous avons des possibilités de parking à proximité et pouvons accueillir ici une petite trentaine de clients… Certains m’ont suivi, depuis Bruxelles et plusieurs nous sont fidèles depuis le début car ils aiment découvrir notre menu qui change chaque mois. Nous avons effectivement décidé de nous concentrer sur 2 menus, l’un de 4 services, l’autre de 6 services pour des raisons de qualité et de rentabilité », motive ce papa d’une fillette de 6 ans et d’un petit garçon de 4 ans.
Ce 10 juin, le chef Toshiro Fujii signera l’entrée chaude du gala des entrepreneurs “Dine With Stars” d’AKT-CCI Brabant wallon…DineWithStars
Dans ses menus, le chef réserve une place de choix au poisson, adorant le travailler cru. Lorsque nous le rencontrons, il s’apprête à lever un filet de « pagre », une grosse pièce de 3 kg.
Ses fournisseurs sont belges ou français (ndlr : notamment un poissonnier breton). Régulièrement, le quadragénaire aime aussi s’approvisionner en pousses de légumes bio auprès de la ferme « Nonbiri Veggie » (Beersel). Les légumes, le chef les aime « taillés au millimètre », une opération qui requiert beaucoup de temps et de précision.
S’il estime plus facile aujourd’hui qu’avant de dénicher les produits de qualité, l’un des principaux obstacles que rencontre la profession, déplore-t-il, est de se constituer aussi une équipe de qualité. « Certes, c’est un métier compliqué et il faut en « donner », concède Toshiro qui relève avec une pointe de déception : « l’un de mes amis qui cuisine pour un restaurant étoilé m’a confié que même une maison réputée a des difficultés de recrutement alors qu’avant, de nombreux candidats se pressaient pour intégrer les effectifs d’un chef renommé… »
En tous les cas, le chef d’Enoshi et son équipe ont, pour leur part, déjà attiré l’attention du Gault & Millau dont l’édition 2024 recense l’enseigne parmi les 10 meilleures tables du Brabant wallon, la gratifiant d’un 14/20 et de 2 toques ! « Toshiro Fujii propose ses assiettes raffinées dans lesquelles il fusionne avec élégance et délicatesse son savoir-faire nippon avec les meilleurs produits de nos contrées », souligne le guide culinaire, ajoutant que sa cuisine d’auteur s’accompagne idéalement avec une judicieuse sélection de vins nature en parfaite adéquation avec la cuisine du chef » pour terminer par un retentissant : « Nouveau dans le guide et deux toques totalement méritées pour Toshiro » !
Une étoile scintillera-t-elle prochainement au-dessus d’Enishi ? L’avenir nous le dira, mais, face à un tel raffinement dans ses assiettes, l’hypothèse n’est pas saugrenue !
ENISHI – Chaussée de Bruxelles, 64 à 1410 Waterloo – 02/673.03.81 – http://www.enishi.be