En dépit d’objectifs communs de pérennité et donc d’une certaine « rentabilité », la naissance de tensions entre direction et syndicat est de l’ordre de l’inévitable. Nul dirigeant n’a pourtant intérêt à voir des conflits sociaux plomber la productivité et l’ambiance de son entreprise. Doté d’une riche expérience de conciliateur avec les partenaires sociaux, Denis Thibaut nous délivre ses conseils pour communiquer et négocier de manière constructive avec les syndicats.
CCImag’ : En dehors de tout climat de tension, quelles sont les bases d’un partenariat sain entre direction et syndicats ?
D. T. : « L’équipe dirigeante doit avant tout veiller au respect des obligations légales en matière de contrats de travail, de législation sociale, de relations avec les organes de concertation (conseil d’entreprise, comité de prévention et de protection au travail, délégation syndicale,…),… Il importe, ensuite, que la direction définisse un cap et le communique régulièrement aux partenaires sociaux de manière à ce que cet objectif soit compris et intégré par tous. Même en période économiquement difficile, il convient de communiquer sur un cap à court et moyen terme. Enfin, quand l’entreprise affiche une certaine taille, elle doit impliquer l’encadrement à jouer un rôle important dans les relations sociales de l’entreprise (faire remonter les informations et s’assurer que les messages de la direction passent bien).»
CCImag’ : Parmi ces trois éléments, quel est celui faisant le plus souvent défaut au sein des entreprises ?
D. T. : « Si je me réfère à mon expérience, c’est incontestablement l’absence d’implication de l’encadrement. Quand bien-même cette équipe a-t-elle été mise en place, elle est souvent oubliée lors des négociations, tant par la direction que les syndicats.»
CCImag’ : Lorsqu’un conflit survient, comment l’équipe qui représentera la direction doit-elle se préparer aux pourparlers ?
D. T. : «Une bonne préparation commence, premièrement, par la définition des enjeux pour les deux parties : dans quelle mesure l’entreprise et ses collaborateurs seront-t-ils impactés par une négociation salariale, une réorganisation des horaires de travail, une nouvelle répartition des postes,… L’équipe dirigeante doit, deuxièmement, se pencher sur l’analyse de son environnement géographique (comment réagiraient les entreprises voisines, celles du zoning où la société est éventuellement implantée) et sectoriel (que font/feraient les entreprises du même secteur). Si elle appartient à un groupe, elle doit s’assurer que ses objectifs sont partagés par la société mère. Troisièmement, on ne négocie pas seul mais en équipe. Dans ce cadre, les rôles et attributions de chacun doivent avoir été clairement définis : qui sera en première ligne, qui se limitera à un rôle d’observateur, qui calculera les impacts financiers de certaines propositions,… Quatrièmement, l’équipe dirigeante doit avoir clairement établi les points qui sont négociables et ceux qui ne le sont pas.»
CCImag’ : Faut-il préalablement établir une stratégie ?
D. T. : « Il faut avoir dans son escarcelle un stock de réponses à fournir sur des points dont on est sûr qu’ils seront évoqués. Mon expérience m’a appris qu’un processus de négociation passait toujours par les mêmes étapes. Par exemple, vient toujours un moment de paroxysme où l’on pense que les avise des uns et des autres seront irréconciliables. Plus qu’une stratégie, la direction doit donc avoir à l’esprit ce chemin qu’emprunte tout processus de négociation.»
CCImag’ : Au cours des pourparlers, préconisez-vous un certain ton ou style de communication ?
D. T. : « Une négociation est souvent émotionnellement intense. Par conséquent, on a beau imaginer le ton qu’il conviendrait d’adopter, le naturel revient vite au galop. Il est en revanche pertinent de définir d’entrée de jeu un climat de respect dans lequel on souhaite voir la discussion évoluer. Cela permet de recadrer au besoin les débats.»
CCImag’ : Recommandez-vous l’usage de techniques d’influence ?
D. T. : « Certains spécialistes des négociations les enseignent. Je ne suis pas favorable à ces procédés visant in fine à faire sortir l’adversaire de ses gonds. Je recommande plutôt d’écouter, reformuler les propos et recadrer sans jamais casser ni humilier son interlocuteur. En guise de préparation, il faut se tenir prêt aux « attaques » et « manipulations relationnelles » et travailler son assertivité.»
CCImag’ : Comment réagir lorsque l’on se retrouve confronté à des menaces, de l’agressivité ?
D. T. : « Il existe deux formes distinctes d’agressivité que l’on parvient à discerner avec l’expérience. Il y a d’une part la menace réelle, d’autre part la menace « théâtrale » que le représentant syndical agite car il doit prouver à ceux qu’ils représentent qu’il a tout tenté. Si elle est réelle, il faut rappeler le climat dans lequel on souhaite discuter et au besoin procéder à une suspension de la séance.»
CCImag’ : Lors des négociations, le directeur doit-il nécessairement être en première ligne ?
D. T. : « La plupart du temps, et lorsque cela est possible, je ne le recommande pas car il peut perdre le recul necessaire au pilotage de negociations complexes. Il doit en revanche montrer qu’il pilote les débats et suit de près les discussions sous peine sinon de donner l’impression de ne pas s’intéresser au problème.»
CCImag’ : Quelles solutions en cas d’échec des négociations ?
D. T. : «Si les procédures au sein de l’entreprise ont échoué, l’entreprise peut se tourner vers la conciliation sociale qui a pour mission de prévenir les conflits sociaux et d’en assurer le suivi. Le président du bureau de conciliation formulera des propositions qui seront suivies ou non. Ce n’est pas la panacée mais ça a l’avantage de dépassionner les débats et de permettre à chaque partie de trouver des solutions innovantes et de sortir de l’exercice la tête haute.»
Deux principes à ne pas perdre de vue
o Rigueur : «Si vous devez concentrer votre énergie quelque part, c’est dans la rigueur de votre préparation.»
o Modestie et réalisme: « Les permanents syndicaux sont souvent des négociateurs expérimentés connaissant généralement leur dossier sur le bout des doigts tandis que le chef d’entreprise a beaucoup d’autres préoccupations (clients, financement, problème technique,…) modestie et réalisme sont donc de rigueur lorsqu’il convient de les rencontrer.»
Denis Thibaut : licencié en Sociologie des organisations, il a pendant 13 ans exercé des fonctions de responsable d’équipe et de DRH au sein d’une organisation multinationale. Depuis 2002 aux côtés des associés de l’entreprise Lapière et Libert, il effectue des missions de conseil, de formation et d’accompagnement utiles aux individus, aux équipes et aux organisations. Actuellement gérant de DTMC SPRL Conseil – Coaching – Formation, il accompagne les cadres et agents de maîtrise dans la gestion de leurs relations sociales et prépare les équipes chargées des négociations.