Wallonie

Des réunions réglées comme du papier à musique

6 Minute(s) de lecture

Contrairement à un concert d’orchestre, les réunions d’entreprises sont souvent discordantes, bruyantes voire cacophoniques. Comment pourrait-on s’inspirer des solutions apportées dans le domaine de la musique dans nos réunions et nos entreprises ? Les réponses de Benoît Degrange, consultant.  

Benoit Degrange créativité

Benoît Degrange est facilitateur – formateur et …musicien. Il est spécialisé dans la résolution créative de problèmes (CPS), le développement organisationnel et le coaching d’équipe.

Le chef d’orchestre (Conductor en anglais) vs le « conducteur » de réunion
La figure du chef d’orchestre est assez récente dans l’histoire de la musique. Jusqu’à la fin du 18ème siècle, un membre de l’orchestre suffisait à assurer l’harmonie. Avec la complexité croissante des compositions, l’augmentation des effectifs (et par conséquent leur éloignement dans l’espace), il est devenu nécessaire de faire appel à un coordinateur extérieur en charge de l’interprétation qui a la particularité d’être le seul à ne pas produire de sons.
Le parallèle est aisé avec le métier de facilitateur de réunion : un animateur désigné qui ne produit pas, mais qui met en place les conditions pour que chacun réalise la tâche (méthode de travail, gestion du temps, de la parole…) et qui fait en sorte que les relations soient conviviales et bienveillantes.

 Quelques conseils pour être un vrai un chef d’orchestre :

  • Battue de départ et signe de fin : Commencez et terminez à l’heure prévue. Attendre les retardataires, c’est démotiver ceux qui arrivent à l’heure
  • L’accord : Rappelez l’objectif poursuivi, le rôle et les attentes vis-à-vis de chaque participant (une manière de préciser au groupe le pourquoi de la présence de chaque personne conviée)
  • L’écoute : histoire de briser la glace, demandez, par exemple, à chacun dans quel état physique ou d’esprit il se trouve (en forme, fatigué, serein, stressé, impatient,…)

La composition vs la préparation de la réunion
Avant d’écrire son œuvre, le compositeur se pose des questions : évalue l’opportunité de développer son idée musicale. Quelle émotion ou message transmettre ? Quelle forme utiliser (symphonie ou musique de chambre…) ? Combien de musiciens? Quelle instrumentation ? De même :

  • L’idée musicale : La réunion est-elle nécessaire ? N’existe-t-il pas un moyen plus efficace de faire passer votre message ? Quel délivrable va-t-on produire ?
  • L’émotion/le message : Quel est l’objectif poursuivi (faire un message à l’équipe, échanger des idées, avaliser une prise de décisions,…) ?
  • Symphonie ou musique de chambre : Quel type de réunion organiser ? Participative ? informative ?
    • Les instrumentistes : Les participants ont-ils tous intérêt à être là ? De quelles fonctions a-t-on besoin?

La partition vs l’ordre du jour
La partition est écrite à l’avance. Elle comporte toutes les interventions des musiciens, l’ordre des mouvements et les moments auxquels ils ont un solo, des réponses, des contre-chants… Le respect de la partition évite à l’orchestre les digressions intempestives et offre la parole à tous.
De même, un ordre du jour peut être écrit de manière très précise et minuté en indiquant chaque thème, sa durée et les participants concernés. Il est bon de rappeler que pour une réunion de 60 min à 10, théoriquement, chacun a droit à 6 minutes de parole !

La baguette vs les outils visuels
Il est très difficile d’imaginer un chef sans baguette ? Elle amplifie sa gestuelle, elle est un repère visuel pour les musiciens qui s’y réfèrent pour le tempo, la dynamique… Elle focalise leur concentration et leur attention.
Pouvons-nous encore mener des réunions sans outils visuels (flipchart, graphiques, affichage de l’ordre du jour, mindmap et autres canevas ad hoc) ? Bon à savoir : ceux-ci  diminuent le temps de réunion (-24[1]%), permettent à 64% des participants de prendre une décision plus rapidement et facilitent l’obtention d’un consensus (dans 79% des cas avec contre 58% sans)

Essayez le jazz ?
Et si, plutôt que de mener une ‟grosseˮ réunion hebdomadaire, on optait pour une réunion quotidienne de 10 minutes debout ? « Baptisée SCRUM, cette technique nous vient des sociétés informatiques. Elle fonctionne généralement bien dans le cadre de la gestion projets conséquents. Chaque matin, chaque collaborateurs explique brièvement ce qu’il a fait la veille, son planning pour les jours à venir et, éventuellement, ce sur quoi il bloque. Cette méthode n’est pas sans défaut mais elle permet de ne pas perdre trop de temps, d’assurer une bonne diffusion de l’information et de prendre rapidement des décisions.»

 

BRAINSTORMING : TELLEMENT CONNU, TELLEMENT MAL UTILISE
Et quand on crée ensemble la musique ? L’opportunité est belle de traiter du brainstorming, la technique de créativité la plus usitée …mais aussi la plus décriée en raison de sa supposée inefficacité. Brainstorming : mal utilisé ou improductif ? Le débat est lancé. 

Quelles sont les principales critiques formulées à l’égard du brainstorming ?
B.D. : «Les études tendant à démontrer son inefficacité avancent différents éléments. Le principal étant que notre créativité chuterait de moitié quand nous sommes en groupe, notamment, car nous nous conformons aux catégories d’idées formulées par les autres participants et que nous nous reposons un peu sur la créativité des autres plutôt que de nous creuser. Le brainstorming déboucherait donc sur des idées moins nombreuses, plus conformes et moins qualitatives.»

Partagez-vous cette analyse ?
B.D. : « A mon sens, le brainstorming est une technique très puissante qui est malheureusement mal utilisée. La principale erreur commise est de limiter le brainstorming au brainstorming. Or, celui-ci fait partie d’une méthode globale. Il y a donc des règles et étapes à respecter, tant en amont qu’en aval.»

Comment dès lors faire un bon brainstorming ?
B.D. : «Un bon brainstorming s’articule en 3 grandes étapes. Il convient tout d’abord de soulever une problématique, une question à résoudre. La formulation de celle-ci est déterminante dans la réussite de l’exercice. La question soulevée doit être motivante pour le groupe (on préfèrera ainsi « Comment favoriser la réussite de chaque étudiant ? » à  « Comment lutter contre l’échec scolaire ? »). On pose, ensuite, le contexte avant de passer au brainstorming en lui-même. Celui-ci doit idéalement être animé par une personne chargée de réguler, relancer, noter,… mais pas d’apporter des idées. Tout au long de l’exercice, cet animateur veillera à faire respecter 4 règles : Censure interdite ; Quantité d’idées exigées ; Farfelu ; Démultiplication c.-à-d. rebondir sur les idées des autres. Quatre règles fondamentales synthétisées sous l’acronyme CQFD. Une fois ce remue-méninge terminé, on passe à la troisième et dernière étape : le tri des idées et le développement de solutions. La difficulté à ce stade est de ne pas retomber dans la banalité en sélectionnant les idées les plus rassurantes. Il faut conserver l’esprit d’ouverture et de nouveauté qui a animé l’exercice. Cette sélection doit permettre d’élaborer des solutions concrètes et, au final, un plan d’action.»

Quel est le nombre idéal de participants ?
B.D. « Il est confortable de s’appuyer sur un groupe d’environ 8 personnes. Au-delà de 10 participants, mieux vaut scinder en plusieurs groupes. Notons que pour l’étape de sélection des idées, le groupe initial peut être réduit.»

Et la durée ?
B.D. : « Elle oscille entre 45 minutes et 1 heure. Il n’est pas rare de voir la créativité des participants s’essouffler après une dizaine de minutes car le groupe se satisfait de la première bonne idée émise. L’animateur doit alors avoir en réserve quelques techniques de relance : des mots, des images, des référents imaginaires (ex. Comment Einstein aurait-il résolu cette problématique ?)»

Quels sont les principaux pièges à éviter ?
B.D. : « Tout d’abord, jouer la carte de la prudence en se mettant des barrières psychologiques (ex. On ne pourra jamais gérer cela). Ensuite, discuter. Le brainstorming n’est pas un lieu pour débattre mais pour collecter un maximum d’idées. Enfin, être pollué par des ideas killers, des personnes qui sont dans la critique immédiate (ex. on n’a pas le temps, pas le budget, la direction ne sera jamais d’accord,…»

Une conclusion ?
B.D. : «Bien utilisé, un brainstorming permet de générer 200 idées en 45 minutes. Peu de technique de créativité peuvent en dire autant. Il serait donc dommage de jeter le bébé avec l’eau du bain.»

 

 

 

 

 



[1] Lucas R.W., The big book of Flip Charts, Mac Graw Hill Trade, 1999

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À propos de l’auteur
Rédactrice en chef (Liège-Namur)
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