Dans l’industrie technologique belge, cette année se clôturera sur une croissance nulle, comme le révèle l’enquête de conjoncture semestrielle d’Agoria. « Les entreprises tiennent bon, mais pour pouvoir investir à nouveau et créer de l’emploi, il sera nécessaire de renouer avec la croissance », affirme Marc Lambotte, CEO d’Agoria. En moyenne, les entreprises commencent à engager lorsque la croissance atteint 1,5 pour cent. À l’heure actuelle, la rentabilité nette des entreprises ne cesse de baisser tandis que la part des salaires poursuit sa progression, de sorte que l’emploi se retrouve fortement sous pression. Les premières victimes de cette absence de croissance sont les ouvriers peu qualifiés de l’industrie manufacturière exportatrice. « Si nous voulons protéger ces emplois, nous devrons renforcer la compétitivité de nos entreprises sur le plan international. Pour y parvenir, les entreprises ne demandent pas qu’on leur fasse de cadeaux mais bien qu’on les aide à remettre notre économie sur le chemin de la croissance », explique M. Lambotte.
En dépit des bons résultats enregistrés par certains groupes d’entreprises, les chiffres conjoncturels globaux font état d’une croissance nulle dans les secteurs industriels en 2014. Après un sévère recul du chiffre d’affaires fin 2012, on avait assisté à une reprise technique en 2013 mais au dernier trimestre de 2013, une baisse de la production avait de nouveau été enregistrée. En 2014, la production s’est stabilisée au niveau de fin 2013. Ainsi, l’un des principaux moteurs de croissance de l’économie belge se situe toujours sous le niveau d’avant la crise. Les entreprises technologiques de notre pays exportent deux tiers de leur production et services et sont dès lors, dans une large mesure, garantes de notre prospérité.
Les entreprises qui enregistrent les meilleurs résultats en 2014 sont issues de l’industrie aéronautique et aérospatiale (+5%) et de secteurs d’activités orientés services tels que le Contracting (+5%) et les TIC (+3%). Dans le domaine des technologies des matériaux (-7%), ce sont surtout les entreprises de métaux non-ferreux qui se trouvent sous pression, en raison d’une baisse du prix des matériaux. Les producteurs de plastique s’en sortent heureusement relativement bien. Sans surprise, faute de politique énergétique axée sur le long terme, les entreprises spécialisées dans les technologies énergétiques, tant classiques que renouvelables, rencontrent également des difficultés (-6%). Agoria espère dès lors que le nouveau gouvernement définira rapidement une politique énergétique claire et investira dans de nouvelles solutions et de nouveaux systèmes de production et de transport de l’énergie.
Les travailleurs peu qualifiés, premières victimes du handicap concurrentiel persistant
Autre fait marquant, le nombre d’emplois a reculé de 2.500 en 2014 dans les secteurs technologiques, sans prendre en compte l’impact de la fermeture de Ford Genk. Cela signifie-t-il qu’il n’y a plus de postes à pourvoir dans les entreprises technologiques ? Non, au contraire : les chiffres des services régionaux pour l’emploi révèlent que le nombre de postes vacants ne trouvant pas preneur ne cesse d’augmenter au fil des ans. Selon ces chiffres, le nombre de postes vacants non pourvus s’élèverait à environ 8.000 mais dans la réalité, il devrait être deux fois plus élevé au moins, tous les postes vacants n’étant pas communiqués à ces services.
Marc Lambotte : « Le type d’emplois proposés dans les secteurs technologiques de notre pays est clairement en train d’évoluer. Étant donné le handicap salarial important dont souffrent nos entreprises, on observe en effet une baisse notable du nombre d’emplois dans les activités de production. Si nous souhaitons protéger ces emplois, nous devrons donc renforcer la position concurrentielle de nos entreprises. Malheureusement, ce sont les travailleurs les moins qualifiés qui sont les premières victimes des fermetures d’entreprises et autres restructurations. Ce sont eux qui paient le prix de ce handicap concurrentiel persistant ».
Les travailleurs qualifiés tels que les ingénieurs et les spécialistes IT restent quant à eux très convoités sur le marché du travail. De même, les travailleurs possédant des connaissances techniques spécialisées tels que les électriciens, mécaniciens, soudeurs ou les ouvriers maîtrisant le fonctionnement de machines spécifiques, trouvent immédiatement du travail. L’inadéquation entre l’offre et la demande de main-d’œuvre sur le marché du travail demeure l’un des points faibles de notre pays.
Des impôts sur des impôts
En dépit de la perte d’emplois enregistrée en 2014, la part des salaires dans la structure des coûts des entreprises poursuit sa progression, ce qui confirme à nouveau le besoin d’un climat plus favorable aux entreprises. La pression fiscale et parafiscale qui pèse sur une entreprise moyenne continue d’augmenter. L’EBIT, qui ne cesse de reculer depuis trois ans, se trouve lui aussi sous pression. Pire encore : plus d’un quart des entreprises travaillent à perte. Enfin, les investissements stagnent à un niveau historiquement bas.
Afin de rompre ce cercle vicieux, les négociateurs pour la formation d’un nouveau gouvernement fédéral devront miser sur une réduction générale des charges pour l’ensemble des entreprises. « Cela ne veut pas dire que le salaire net des travailleurs doit être revu à la baisse, bien entendu. Nous devons au contraire protéger le salaire net, mais nous demandons aux autorités de donner une bouffée d’oxygène aux entreprises en diminuant la pression fiscale qui pèse sur celles-ci. En Belgique, on en est arrivé à un stade où des impôts sont prélevés sur des impôts. Sans compter que notre handicap salarial s’élève toujours à 16,5 pour cent par rapport aux pays voisins et que nous devons également faire face à la concurrence de plus en plus forte de pays d’Europe du Sud tels que l’Espagne, lesquels sont en train de redresser la barre par le biais de réformes et d’une augmentation de la productivité ».
Les investissements d’aujourd’hui sont les emplois de demain
Les investissements dans l’industrie se situent à un niveau historiquement bas, ce qui est néfaste pour le long terme car les investissements d’aujourd’hui sont les emplois de demain. Afin d’encourager les investissements, une déduction fiscale des investissements ainsi que le rétablissement de la portabilité des intérêts notionnels lors d’investissements pourraient être envisagés. En effet, la suspension de cette portabilité nuit essentiellement aux entreprises qui investissent dans des secteurs plus cycliques tels que l’industrie. « La modernisation de notre industrie à travers l’intégration de nouvelles technologies et de nouveaux procédés de fabrication constitue l’une des principales transformations qui devront être opérées pour permettre à l’industrie manufacturière de rester compétitive. Or, cela ne sera pas possible sans un climat fiscal favorable aux investissements dans des actifs corporels et incorporels ».
Création d’emplois et baisse de la pression fiscale sont-elles compatibles ?
La réponse est oui et l’Allemagne en est le parfait exemple. Entre 2002 et 2012, les coûts salariaux ont enregistré une progression de 19,9 pour cent chez nos voisins allemands, soit dix pour cent de moins que chez nous. Sur la même période, plus de 90.000 emplois ont été créés tandis que chez nous, 22.000 emplois sont passés à la trappe.
Pour conclure, M. Lambotte met en garde contre les conséquences que pourraient entraîner la non-résorption du handicap concurrentiel ainsi que les transferts d’emplois qui en découlent : « La disparition d’activités et d’emplois dans le domaine de la production risque de nous coûter cher. En effet, l’ensemble de la chaîne de valeur économique et la création d’emplois trouvent leur origine dans les activités de production exportatrices : c’est autour de ces activités que se développent les secteurs orientés services ».