Quand la crise fait rage, l’équipe commerciale est en première ligne. Essuyant les bourrasques du marché et les refus répétitifs de la clientèle, le découragement la guette. Pour éviter de voir sombrer ses troupes dans la spirale de la démotivation, le manager commercial doit alors, et plus que jamais, se muer en véritable meneur d’hommes. Un capitaine capable d’infl uencer les performances de ses collaborateurs. Encourager plutôt qu’enfoncer, responsabiliser, positiver, innover… : interrogés par notre équipe, trois spécialistes de la question commerciale (Laurence Hébette, Benoit Haesebrouck et Michel Acunzo) nous livrent leurs conseils pour garder le cap dans un climat économique morose.
L’encadrement des équipes commerciales, Laurence Hébette et Benoît Haesebrouck connaissent. Forte de 15 années d’expertise dans les domaines de la vente, du management et des ressources humaines, notre première intervenante a créé BinÔme, une société spécialisée dans la formation et l’accompagnement en optimisation commerciale. Titulaire d’un Master en Management, Benoît Haesebrouck a de son côté fondé Samanco, une agence de business development proposant, notamment, des audits et conseils en stratégie commerciale. Deux spécialistes de la question commerciale donc à qui nous avons tendu notre micro…
Aux premiers temps de la crise, les bons réflexes
Une crise est une période charnière propice aux remises en question, commence Benoit Haesebrouck. Pour une entreprise, c’est notamment le moment de vérifi er que les commerciaux se concentrent sur les bonnes priorités. Dans le cadre de mon activité, je suis ainsi souvent effaré de constater le temps que les vendeurs consacrent à des tâches administratives. Pour redonner du tonus aux commerciaux, il est également opportun de les décharger de tâches qu’ils n’affectionnent guère telles que la prise de rendez-vous. Lorsque dans le cadre de nos missions nous nous acquittons de ce travail à leur place, les résultats s’en font souvent très vite ressentir. Passé le temps de ces constatations, l’entreprise doit ensuite prendre du recul et se demander si son offre est toujours en adéquation avec les besoins du marché. Cette notion d’offre doit être comprise au sens d’expérience client, autrement dit l’ensemble des interactions existant entre une société et son client (procédure trop complexe, facture pas claire, employé désagréable…) Le département commercial n’est pas une île isolée. Il ne peut performer si l’offre dans sa globalité ne répond pas aux attentes de la clientèle. »
Pour Laurence Hébette, ce que l’entreprise doit à tout prix éviter en période de crise, ce sont les critiques et pressions en cascade : « Le directeur général ressent une pression qu’il va, plus ou moins consciemment, répercuter sur son directeur commercial qui lui-même va la faire supporter à son commercial. Pour se protéger de ça, deux questions doivent guider la réflexion de départ. Tout d’abord : sur quoi repose mon analyse ? L’évaluation du département commercial repose généralement sur de simples chiffres (marge, chiffre d’affaires…) Mais ces résultats sont le fruit d’une somme de compétences plus ou moins bien maîtrisées par les commerciaux. Plutôt que de me limiter à leur analyse, je dois me demander où le bât blesse dans la chaine commerciale : une base de données insuffisamment qualifiée, difficulté à décrocher un rendez-vous, mauvais ciblage, difficulté à conclure, manque de suivi, portefeuille clients déséquilibré… Deuxième question : la crise est-elle due à un changement dans le chef de mon commercial ou à un changement de conjoncture ? En fonction de la réponse, l’approche sera individuelle ou collective. Si les mauvais résultats sont liés à la conjoncture, le directeur commercial doit en profiter pour procéder à une auto-évaluation : ma stratégie commerciale a-t-elle été remise à jour ? Ai-je adapté les points de repère ? Quand un contexte évolue négativement, on a généralement tendance à faire la même chose qu’avant mais avec plus d’intensité. C’est rarement la bonne solution… Ainsi, imaginons que
je vende des shampoings pour lutter contre la chute des cheveux et que, tout à coup, la mode passe aux chauves. Mon directeur commercial aura beau m’inviter à multiplier les visites et à mieux argumenter, je ne vendrai pas davantage puisque c’est le marché qui a changé. »
Les attitudes à proscrire
En période difficile, on assiste parfois dans les entreprises à une sorte de « panic football », poursuit Benoit Haesebrouck. Les choses ne tournent plus et vite, vite, on veut trouver un nouveau produit, un nouveau service, un nouveau mode de commercialisation… Attention à ne pas changer de cap de façon inconsidérée au risque sinon de perdre le client en cours de route. Les pressions démesurées exercées sur les équipes sont également à éviter. »
«L’attitude à proscrire dans le chef du directeur commercial est de s’emmurer dans un rôle qui ne serait que contrôlant, souligne Laurence Hébette. S’il se cantonne à mesurer des paramètres (nombre de rendez-vous, d’appels téléphoniques, de contrats signés…), il va très vite susciter le désengagement et voir parfois son système de contrôle contourné par l’équipe. »
Le rôle du directeur commercial
Quand le bateau commercial tangue, quelle casquette doit endosser le capitaine ? « Avant tout, il doit tout faire pour être considéré comme un allié par ses collaborateurs, insiste Laurence Hébette. Si ses commerciaux le perçoivent comme quelqu’un contre qui il faut se défendre ou face à qui il faut se justifier, ils perdront leur motivation. Bien évidemment, cela ne veut pas dire faire copain-copain. Les entretiens d’évaluation doivent continuer à exister et un message confrontant, s’il est constructif, est parfois l’électrochoc nécessaire à l’action. Le directeur commercial doit parallèlement se montrer vigilant vis-à-vis des questions qu’il pose : celles-ci doivent davantage être tournées sur le comment et le futur plutôt que sur le pourquoi et le passé, afin de privilégier chez le collaborateur une réaction constructive plutôt que défensive. L’attitude la plus judicieuse est une attitude d’implication. Dans une conjoncture difficile, le manager commercial a tendance à prendre beaucoup sur lui et à faire peser sur ses seules épaules l’analyse de la situation : pour quelles raisons les résultats sont-ils mauvais ? En quoi la situation a-t-elle changé ? Quelle est la nouvelle donne-marché ? Il doit rompre cet isolement en associant ses commerciaux à la réflexion. Une manière de les responsabiliser, de leur témoigner de la confiance et de les motiver, in fine. Ce management n’est-il pas trop souple ? Je ne le crois pas. Il s’agit d’une juste balance entre tolérance et intransigeance. En période de réflexion, le directeur commercial accepte les débats et échanges d’idées. Mais une fois que la stratégie a été définie, il doit être intransigeant au niveau de sa mise en oeuvre. »
Pour Benoit Haesebrouck, en période de crise, le directeur commercial doit plus que jamais être présent aux côtés de ses équipes. « Ainsi, il ne doit pas hésiter à descendre sur le terrain auprès de ses collaborateurs. Et pas que lui d’ailleurs ! Il n’est en effet pas inintéressant qu’un directeur financier ou un directeur de production se rende, une fois de temps en temps, sur le terrain pour voir de près à quoi ressemble un client… »
Quid de la rémunération ?
La rémunération des commerciaux comprend très souvent une part variable destinée à motiver les troupes dans l’atteinte de leurs objectifs. Quid en période de crise ? L’entreprise doit-elle repenser son mode de rémunération pour maintenir ses vendeurs motivés ? « Pas d’angélisme : l’argent est un élément de motivation important, concède Benoit Haesebrouck. Mais il n’est pas le seul. Sur le long terme, l’aspect financier ne remplace pas d’autres éléments comme un cadre épanouissant, stimulant intellectuellement, et le sentiment d’être partie prenante d’un projet auquel on adhère. Nul besoin donc de refondre le système de rémunération. » Même son de cloche du côté de Laurence Hébette : « Avant de penser à remodeler son mode de commissionnement, l’entreprise doit se demander pourquoi elle n’atteint plus ses objectifs commerciaux. On en revient donc à la stratégie à la nécessité de développer des produits en adéquation avec les besoins du marché. Par ailleurs, dehors des traditionnelles commissions, une société la possibilité d’organiser des actions originales avec la clé un bonus, fi nancier ou non (ex. une journée formation, un jour de récupération supplémentaire…) On peut ainsi imaginer des challenges sur des points
d’amélioration stratégiques précis comme un bonus commercial qui récupère le plus de clients perdus. Des actions innovantes Quelles pratiques situées en-dehors des sentiers battus le directeur commercial peut-il, enfin, mettre en œuvre pour ses équipes en alerte quand l’orage gronde ? « Pour directeur commercial, l’une des difficultés majeures réside fait d’encadrer et motiver son équipe alors que celle-ci trouve la plupart du temps sur la route, note Benoit Haesebrouck. Il a rarement la possibilité de leur donner une petite tape dans le dos pour les rebooster ou pour les féliciter. Pour aider le manager dans cette tâche mais aussi pour rompre la solitude du commercial, l’évolution technologique met heureusement à leur disposition des outils multipliant les possibilités
de contact et de coaching. Je voudrais, dans ce cadre, attirer l’attention sur une application créée par la société Royal App Force et baptisée « peak me up » qui permet d’animer son équipe de vente de façon ludique. »
Au regard de Laurence Hébette aussi, une multitude de choses peuvent être mises en œuvre. « À commencer par échanger les « prospects qui coincent » entre collègues commerciaux : vierge de toute expérience avec ce client, le collègue se montrera peut-être plus persuasif. Autre initiative : le mentorat entre membres de l’équipe. Si l’un est plus doué pour prendre des rendez-vous ou mener un entretien, peut exposer aux autres ses techniques. Un partage de par un autre biais que le canal hiérarchique motivant pour chacun. S’il existe un bon esprit d’équipe entre collègues, être mis à profit pour mener des actions collectives : se rassemble une matinée pour prendre des rendez-vous par téléphone. On s’encourage, on se remotive, on avance ensemble. Enfin, pourquoi ne pas associer un panel de clients représentatifs à la réflexion stratégique menée par l’entreprise ? »
« Le développement commercial est indissociable du développement humain »
Après avoir œuvré plusieurs années en tant que directeur commercial dans le domaine du hard selling et de la vente durable (B2B & B2C), Michel Acunzo a fondé Âme De La Vente, société qu’il dirige depuis lors, entouré de plusieurs partners également issus du monde de la vente. Fort de son expérience de terrain en BeFraLux, ce business coach, économiste de formation (HEC-ULg), accompagne aujourd’hui petites et grandes entreprises (D’Ieteren, Team One, Saint-Gobain, Enercon, Mercedes…) pour les aider à booster leurs forces de vente.
Âme De La Vente intervient tant dans des sociétés en pleine croissance que dans des entreprises en crise. Face aux équipes commerciales en difficulté, cet expert préconise une réflexion en 3 étapes… « Tout d’abord, l’entreprise doit s’interroger sur ce qui fait qu’elle est en crise. Quels sont les paramètres sur lesquels elle se base pour affi rmer cet état de fait ? Sur base de quels critères considérera-t-elle qu’elle n’est plus en crise ? Ce travail d’objectivation est essentiel. Un manque de clarté génère de la peur et cette dernière constitue un frein à la motivation de chaque commercial. En clarifiant la situation et en exprimant ce vers quoi elle veut tendre, l’entreprise canalisera mieux les efforts de ses commerciaux. Ensuite, la direction doit capitaliser et communiquer sur ce qui a été réussi en remémorant les succès commerciaux passés. Cette étape est également importante car elle rappelle aux collaborateurs qu’ils sont capables de performer et re-performer. Cette dynamique a pour objectif de redonner confiance et favoriser une montée d’énergie positive. Enfin, une période de crise demande une remise en question et des prises de conscience des managers et des managés. L’idée n’est pas de pointer des responsables du doigt mais de responsabiliser chaque collaborateur en l’invitant à agir sur ce sur quoi il a prise. »
Au regard de Michel Acunzo, le développement commercial est indissociable du développement humain. « Raison pour laquelle lorsque nous intervenons auprès d’équipes en crise, nous proposons un accompagnement sur mesure englobant 3 aspects : mental, émotionnel et spirituel. Au travers de ce modèle, l’aspect mental reprend les techniques de vente, les tactiques d’achat, la stratégie et la structure commerciale… C’est généralement sur cet axe que l’entreprise concentre ses efforts quand elle veut inverser une mauvaise courbe, négligeant par conséquent les 2 autres. L’émotionnel se penche sur un aspect de la personnalité de l’individu. Nous voyons comment gérer ses émotions face au prospect afi n qu’il devienne client, par exemple, ou encore augmenter la réussite de prises de rendez-vous de prospection par téléphone et ainsi aller chercher dans la puissance d’impact du Hunter* et la puissance relationnelle du Farmer** les outils qui lui permettront de vendre en étant lui-même. Enfin, le spirituel se réfère, entre autres, aux croyances limitantes et portantes. Dans cette dimension, nous voyons comment transmuter des pensées négatives souvent inconscientes (des excuses pour ne pas vendre) en opportunités positives (et trouver les raisons de vendre pour soi et son entreprise). Si l’on souhaite qu’une équipe commerciale renoue avec le succès, il importe de traiter de front ces 3 dimensions qui infl uencent et impactent, chacune à leur manière, les résultats commerciaux et chiffrés de l’entreprise. »
* commercial orienté prospection
** commercial orienté fi délisation