En 2014, l’Agence pour l’Entreprise et l’Innovation (AEI) faisait son arrivée dans le paysage économique wallon dans le but de rationnaliser certains outils existants (ASE, AST, AWT…). Si l’agence publique octroie de nombreuse aides aux entreprises, elle n’entend pas être résumée à ce rôle. Sa volonté est avant tout d’être la porte d’entrée pour tous ceux qui souhaitent innover, développer et faire prospérer leur société en Wallonie. Les explications de Véronique Cabiaux, Directrice générale de l’AEI.
A-E-I, ce sont les trois premières voyelles de l’alphabet, mais encore ?
V. C. : « L’Agence pour l’Entreprise et l’Innovation est le résultat de la fusion entre l’ASE (Agence pour la Stimulation Economique) et l’AST (Agence pour la Stimulation Technologique), deux outils créés il y a 10 ans par le gouvernement régional afin de relancer et moderniser l’économie wallonne. L’AEI a ses bureaux à Liège, qui est le siège des institutions économiques de la Wallonie, tandis que sa filiale, l’Agence du Numérique (ndlr : ex – Agence Wallonne des Télécommunications/AWT), est implantée à Namur. L’AEI emploie une cinquantaine de personnes et dispose d’un budget de 16 millions d’€, alimentés par la Région et par le Fonds Social Européen, pour son fonctionnement et les aides qu’elle octroie aux entreprises. Par exemple, en 2016 : 2.100.000 € pour les bourses de pré-activité et les bourses d’innovation, 900.000 € aux étudiants-entrepreneurs, 500.000 € pour le plan commerce, 400.000 € au fonds starters, 300.000 € pour les bourses coopératives citoyennes et 130.000 € pour l’entrepreneuriat féminin. Cependant, le rôle de l’AEI n’est pas seulement de distribuer de l’argent mais, bien plus, d’animer et d’évaluer afin de créer une nouvelle dynamique économique en Wallonie.»
Ce n’est pas encore un ‘bidule’ supplémentaire, alors que les entreprises se plaignent souvent de la complexité administrative de nos institutions ?
V. C. « Non, au contraire ! L’AEI résultant d’une fusion, il y a d’abord un organisme en moins. C’est vrai que l’on entend souvent que les entreprises ‘ne s’y retrouvent pas’. Notre volonté est précisément d’être le guichet unique qui oriente les interlocuteurs vers les opérateurs de terrain que sont les CCI, l’UCM, les différents organismes de conseils et d’encadrement des entreprises qui opèrent sur tout le territoire wallon ou encore les universités, les centres de recherches et les incubateurs. Nous sommes la porte d’entrée pour tous ceux qui souhaitent innover, développer et faire prospérer leur société. Nous disposons pour cela d’un portail unique d’informations, www.infos-entreprises.be, et du numéro vert de la Région wallonne, le 1718.
L’AEI n’est pas un nouveau ‘machin’, mais un facilitateur au service des entreprises. Preuve concrète de cette volonté de rationalisation : le mode de fonctionnement des différents opérateurs. Je prends un exemple : l’encadrement des sociétés en rebond. Les CCI du Brabant wallon et de la province de Luxembourg se sont spécialisées dans l’accompagnement des entreprises en difficulté. Eh bien, nous orientons ces entreprises vers ces deux CCI dans lesquelles nous finançons trois emplois. Il est inutile de faire tout partout, la spécialisation est beaucoup plus efficace. »
Quelles sont les missions précises de l’AEI ?
V. C. : « L’AEI a trois missions complémentaires : l’information, la formation, en particulier la sensibilisation à l’esprit d’entreprendre, et, forcément, l’encouragement de l’innovation. Il faut que les entreprises soient informées et guidées vers les institutions ou organismes les mieux adaptés pour résoudre leurs problèmes ou les aider à concrétiser leurs projets. L’information est primordiale car quand on a un projet de création ou de développement de son entreprise, quand on veut innover, on a forcément besoin de soutien et de financement et il faut savoir à qui s’adresser. Sans quoi, le projet risque de rester en rade…
Il faut aussi, surtout en Wallonie, former à l’esprit d’entreprendre. L’AEI finance le détachement de sept enseignants de la Communauté Wallonie-Bruxelles qui se rendent dans les écoles primaires et secondaires afin de sensibiliser les jeunes à l’esprit d’entreprise. Au moyen d’outils qui peuvent être ludiques, comme la BD que nous avons produite Antoine & Laura créent leur entreprise. Nous soutenons aussi, comme je l’ai mentionné plus haut, les incubateurs-étudiants dans les Hautes Ecoles et Universités. En tout, 30.000 jeunes sont concernés actuellement par cette opération de sensibilisation. Tous ne vont pas créer leur société mais à la fin de leur parcours scolaire, ils seront mieux ‘employables’ dans leur entreprise qui ne devra plus, comme me disait un patron, passer un an à les ‘déformer’… »
Et la troisième mission ?
V. C. : « Notre troisième mission est une mission d’innovation tous azimuts. Quand on parle d’innovation, on pense d’abord recherche et nouveaux produits. C’est évidemment essentiel. Mais l’innovation, c’est beaucoup plus que cela ! L’innovation, cela peut-être un nouveau procédé de fabrication, le nouveau design d’un produit, une nouvelle façon de le commercialiser. En fait, l’innovation est partout ! De nouveaux modèles économiques apparaissent aussi, correspondant à l’évolution de la société. Je pense, par exemple, à l’économie sociale, où le gain n’est pas la seule finalité. Le développement durable et la préservation de l’environnement sont devenus des préoccupations universelles. On parle donc aujourd’hui de circuit-court de distribution ou encore de l’économie circulaire, basée sur le recyclage le plus complet possible des matières premières, dont un des principaux acteurs en Wallonie est la société Comet, avec son projet Reverse Metallurgy. Le chef d’entreprise doit être en éveil perpétuel et faire preuve de réactivité. En réalité, l’innovation est un état d’esprit qui doit concerner l’ensemble du monde économique et pas seulement les centres de recherches ou les jeunes entreprises. Il appartient à l’AEI de faire connaître aux chefs d’entreprise ces nouvelles tendances. »
Vous dites aussi que l’économie contemporaine doit être plus collaborative…
V. C. : « En effet ! En 1970, aux Etats-Unis, sur un échantillon de 1.200 innovations, 67 % étaient produites par des entreprises privées opérant seules. En 2010, le chiffre s’était inversé : 67 % des innovations étaient le fruit d’une collaboration. Cela confirme le rôle primordial joué dans le processus d’innovation par les écosystèmes constitués des grandes entreprises et des PME, des universités, des centres de recherches et des investisseurs à risques. C’est un des grands mérites du plan Marshall d’avoir rassemblé des entreprises autour de six pôles de compétitivité et d’avoir ainsi permis et encouragé le travail en réseau. »
La Wallonie serait donc sur la bonne voie ?
V. C. : « Je le pense, même si l’évolution est lente. Beaucoup de PME ont encore peur de grandir. Elle redoute, notamment, le fameux seuil de 49 emplois et l’entrée des syndicats dans la société. Mais il fallait une véritable politique industrielle et la Wallonie l’a initiée avec le plan Marshall et ses six fameux pôles d’excellence dont j’ai parlé, qui tenait compte à la fois du passé industriel wallon et des nouvelles voies à exploiter. Ces pôles ont permis de structurer la politique industrielle, ils ont aussi conduit à la découverte de nouvelles niches. Ce ne sont pas des paroles convenues ! Le taux de progression est le même qu’en Flandre et, proportionnellement, le nombre de faillites est moins élevé en Wallonie que dans le nord du pays. Une agence d’innovation suisse que j’ai rencontrée récemment me disait : C’est formidable ce que vous faites en Wallonie, nous voudrions collaborer avec vous. En matière de recherche et d’innovation, la Wallonie a acquis une réelle crédibilité au niveau européen. Mais il reste beaucoup à faire, en particulier dans ce que l’on appelle l’économie collaborative que j’ai évoquée : les entreprises sont toujours très frileuses et jalouses de leur pré carré, elles ne se parlent pas encore assez. »
Le chemin est encore long mais le processus serait en marche…
V. C. : « Tout cela doit encore percoler parmi l’ensemble des acteurs de l’économie. Quand tous seront sensibilisés à l’esprit d’entreprendre, à l’innovation et aux nouveaux modèles économiques, d’une certaine manière, l’AEI aura accompli sa mission et pourra disparaître… (sourire).»
Véronique Cabiaux
- Docteure en microbiologie
- Professeure et vice-rectrice de la recherche et de la coopération au développement à l’ULB
- Directrice de l’Agence pour la Stimulation Technologique (AST)
- Directrice de l’A pour l’Entreprise et l’Innovation (AEI) depuis novembre 2014