Wallonie

Sébastien Brunet (IWEPS) : pouvoir réfléchir sur le long terme

7 Minute(s) de lecture

Produire des statistiques, évaluer les politiques publiques et réaliser des travaux d’anticipation : voici les trois missions de l’IWEPS. Son Administrateur général, Sébastien Brunet nous présente les contours de cet institut appelé à soutenir la prise de décision en Wallonie.

Excusez-moi de commencer par une première question aussi banale : qu’est-ce que l’IWEPS ?
S.B. :
« L’IWEPS est un institut scientifique public de soutien à la prise de décision. Nos trois missions fondamentales sont la production de statistiques, la recherche et l’évaluation de politiques publiques et la réalisation de travaux d’anticipation que ce soit des prévisions ou des démarches de prospective. Nous avons un statut comparable à celui de l’ISSEP, l’Institut Scientifique de Service Public, ou du CRA-W, le Centre Wallon de Recherches Agronomiques. Nos travaux sont destinés à éclairer le Parlement de Wallonie, le Gouvernement wallon ainsi que les forces vives et les citoyens sur la situation de la Région et les perspectives d’avenir.
Nous sommes un organisme régional mais nous ne travaillons pas en solo sur notre petit îlot wallon. D’une part, il existe des directives européennes en la matière et d’autre part, depuis janvier 2016, nous sommes intégrés au sein de l’Institut Interfédéral des Statistiques, l’IIS. »

Et vous pouvez travailler librement ? Les chiffres, notamment, sont souvent important pour le pouvoir politique…
S.B. : « Alors là, je me permets d’insister : on nous ‘fout une paix royale’ ! Tout le monde a bien compris que l’indépendance d’un institut comme le nôtre est une condition essentielle au bon fonctionnement de la démocratie… d’autant plus à l’heure de la multiplication des fake news. Cette indépendance est inscrite dans nos processus mêmes. Au sein de l’institut sont systématiquement mis en place ce que nous avons appelé des comités transversaux d’encadrement où siègent des représentants de l’UWE, de l’UCM, des syndicats, du CESW, du Bureau fédéral du Plan, du SPW – le Service Public de Wallonie – ainsi que des professeurs d’université. Ce comité donne son avis sur les méthodologies employées, les premiers résultats de l’enquête, de l’analyse ou de l’étude puis la présentation des résultats définitifs. Le rapport est ensuite envoyé au Gouvernement qui en prend acte et le jour même, ces résultats sont publiés sur notre site internet. Il n’y a pas de remise en cause possible, et heureusement ! »

Comment agissez-vous ?
S.B. : « Nous agissons sur trois axes. Le premier concerne l’établissement de statistiques afin d’avoir, sur la réalité wallonne, des données les plus précises possibles. Il y a ensuite les évaluations qui nous permettent de juger des effets d’une politique publique. Enfin, le troisième axe est celui de l’anticipation qui présente deux facettes différentes mais complémentaires. Il s’agit d’une part des travaux de prévision et d’autre part des démarches de prospective. Le vieil adage populaire ‘gouverner, c’est prévoir’ est bien plus qu’un slogan.
En ce qui concerne les prévisions, il s’agit de démarches aux fondements mathématiques qui reposent sur des modèles théoriques élaborés en étroite collaboration avec des partenaires comme la Banque Nationale, le Bureau fédéral du Plan ou encore les universités. Pour ce qui est de la prospective proprement dite, il s’agit d’une démarche, basée sur la connaissance du passé et l’analyse du présent, qui élabore pour le futur des scénarios ou des trajectoires possibles. C’est ce que Bertrand de Jouvenel a appelé ‘les futuribles’, contraction entre ‘futurs’ et ‘possibles’. L’idée est de considérer que le futur est un territoire à conquérir qui ne nous est aucunement imposé. Le futur se présente au contraire comme un enjeu de forte mobilisation que celle-ci soit sociale, politique, environnementale ou économique. Le rôle de l’IWEPS est de nourrir cette culture de la prospective en Wallonie en réalisant des travaux thématiques dans des domaines comme le vieillissement, la transition énergétique ou l’administration publique etc. Tout cela, afin d’offrir aux décideurs publics ou privés des horizons plus larges que leurs habituelles échéances et enclencher une réflexion à plus long terme. »

Le Plan Marshall a changé les mentalités

Vous avez évalué le Plan Marshall. Quel jugement portez-vous ?
S.B. : « Si vous me demandez si le Plan Marshall a boosté les grands indicateurs de l’économie wallonne, ma réponse est non et c’est facile à comprendre avec quelques chiffres. Depuis dix ans, le PIB wallon s’est élevé à 850 milliards dont 100 en 2016. Or, sur la décennie, le Plan Marshall représente 5 milliards d’investissements, un peu plus d’un demi pourcent du PIB annuel. Ce n’est évidemment pas suffisant pour transformer complètement une économie. Par contre, le Plan Marshall a certainement eu un impact positif grâce à certains dispositifs qui ont bien fonctionné. En outre, il a été à l’origine d’un changement de mentalités. Le Plan a d’abord favorisé une meilleure collaboration entre les entreprises, les centres de recherches et les universités. Il a aussi contribué à développer l’esprit d’entreprise en Wallonie. On observe chez les jeunes un goût plus prononcé du risque pour la création de leur propre société, on sent qu’une nouvelle culture économique est entrain d’émerger. Le Plan Marshall est aussi jugé favorablement à l’étranger et cela augmente la confiance des Wallons en leurs propres capacités. Mais l’économie wallonne souffre toujours de certaines lacunes, en particulier la structuration de son tissu industriel qui ne repose pas suffisamment sur une production à haute valeur ajoutée. »

Plus de 500.000 emplois menacés

Et l’écart avec la Flandre demeure…
S.B. :
Comparer la Flandre et la Wallonie n’a pas de sens. Les deux économies sont étroitement entremêlées. Aussi, si la Wallonie court plus vite, la Flandre nécessairement aussi. Dès lors, se comparer à la Flandre en souhaitant que la Wallonie la rattrape serait comme demander à un coureur de fond de doubler son allure pour revenir au même niveau que son concurrent en faisant l’hypothèse que ce dernier l’attende un peu…

A quoi est dû ce handicap ?
S.B. : « Il y a plusieurs facteurs. L’attractivité du port d’Anvers, une population plus importante, un tissu économique plus dense, le fait que la Wallonie ait tardé à opérer sa reconversion industrielle. Le décalage entre les deux régions est apparu surtout dans les années 80. Il ne faut donc pas comparer la Wallonie à la Flandre qui fait partie du top 5 des régions européennes. Par contre, la Wallonie peut et doit tirer parti de sa proximité avec la Flandre, Bruxelles, l’Allemagne et le Grand-Duché de Luxembourg. »

Ceci dit, l’heure est pour le moins à la vigilance : le dernier rapport de l’IWEPS prévoit que la robotisation devrait supprimer plus de 500.000 emplois wallons dans les 10 ou 20 prochaines années…
S.B. :
« En effet, il convient d’être vigilant même si l’on peut nuancer les conclusions de notre étude dans la mesure où nous n’avons pas encore de méthode pour prendre en compte les créations d’emploi liées à la digitalisation. Car le passage à l’économie digitale créera évidemment des emplois mais sans doute pas en suffisance pour compenser les pertes annoncées. Comme, de toute façon, il est impossible d’arrêter le progrès, il faut donc prévoir des réponses à cette évolution inéluctable. On en revient à ce que je disais à propos du rôle de l’IWEPS et de la réflexion à long terme. Nous sommes face à un changement radical de notre modèle économique. Il va falloir s’adapter. Des pistes sont sur la table qui vont de la réduction du temps de travail à l’allocation universelle en passant par la taxation des robots pour financer la sécurité sociale etc. Ce qui est certain, c’est qu’il faudra former la population, surtout les jeunes, aux nouveaux métiers liés au digital, une tâche difficile si l’on sait que, selon les projections, 60 % des emplois de 2030 n’existent pas encore ! »

Une économie respectueuse de la nature et de l’humain

En fait, c’est tout le fonctionnement de notre système qu’il va falloir repenser ?
S.B. :
« La société actuelle privilégie ce que j’appelle le ‘présentisme’. Nous mettons les anciens dans des maisons de repos et les enfants dans les crèches, un peu comme si nous ne nous préoccupions plus ni du passé ni de l’avenir. C’est la même chose avec l’obsolescence programmée. Notre système économique pratique une sorte de logique de la terre brûlée, l’homme est devenu son propre prédateur, il n’y a plus que le présent immédiat qui compte. Prenons l’ingénierie fiscale. Elle n’existe que parce que le système le lui permet mais elle met en péril la protection sociale et les fondements du collectif. Nous nous trouvons face à une impuissance organisée. Conséquence : les inégalités sont de plus en plus grandes, ce qui est néfaste pour l’économie et handicape d’abord les petites entreprises par rapport aux grandes. »

Que faire alors ?
S.B. : « Je pense que nous sommes à un tournant et que l’on doit favoriser l’émergence d’un système économique qui préserve notre environnement, non seulement naturel au sens écologique du terme, mais aussi social et humain. L’économie circulaire, par exemple, qui tend à un recyclage quasi intégral des déchets, ou l’économie sociale, qui cherche à concilier l’activité économique et l’équité sociale, offrent des solutions plus respectueuses de l’homme et de la nature.  C’est sans doute dans cette direction qu’il faudrait aller. Mais… »

Bio Express

  • 45 ans, trois enfants
  • Licencié (1995) et Docteur (2001) en Science Politique et Administrative Publique de l’Université de Liège
  • Directeur du centre de recherches SPIRAL (2002-2011)
  • Professeur, Faculté de Droit, de Science Politique et de Criminologie de l’Université de Liège (depuis 2009)
  • Administrateur général de l’IWEPS (depuis 2011)

L’IWEPS, c’est :

  • L’Institut Wallon de l’Evaluation, de la Prospective et de la Statistique (www.iweps.be)
  • Un organisme établi à Namur (Belgrade)
  • 14 années d’existence
  • 60 collaborateurs dont une quarantaine de chercheurs (sociologues, psychologues, économistes, politologues, historiens, géographes, biologistes, démographes)
  • Un budget annuel : 7,2 millions €

 

 

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