Namur

TABLE RONDE NAMUROISE: comment réussir sa transition durable ?

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Le développement durable est un des grands enjeux des années à venir. À la lumière de la grande enquête publiée par l’Union Wallonne des Entreprises fin 2021, on constate que les décalages de compréhension de cette notion néanmoins très répandue sont encore nombreux.

Développement durable ne veut pas uniquement dire respect de l’environnement ; c’est aussi une réflexion sur les aspects économiques et sociaux, sur la bonne gouvernance et sur les possibilités de partenariats.

Les progrès réalisés par les entreprises sont nombreux, mais les défis restent immenses.

Votre CCI a réuni des acteurs clés et des entrepreneurs particulièrement impliqués, tous soucieux d’inspirer d’autres entreprises.

Les participants:

Natacha Zuinen, coordinatrice de la Direction du développement durable au secrétariat général du SPW (Service Public de Wallonie)
Philippe Barras, président de la CCI Wallonie et coordinateur de la certification en développement durable
Marc Detraux, directeur Général de La Ressourcerie Namuroise
Jean-François Eloin, co-créateur de LaverVert

Le développement durable est un terme que l’on utilise partout. Une récente enquête de l’Union Wallonne des Entreprises (UWE) a montré que lorsqu’une entreprise pense développement durable, ce sont surtout les aspects environnementaux qui sont considérés. Est-ce également ce que vous percevez à travers vos différentes fonctions? Cette vision du développement durable n’est-elle pas un peu réductrice ?

Marc Detraux. Je ne dirais pas que c’est réducteur, mais en tous cas, nous, dans notre entreprise, c’est avant tout l’humain qui est important. Ce qui est important, c’est l’impact sociétal qu’on peut avoir. L’animal ne se pose pas de question sur le développement durable, il est dans un écosystème qu’il respecte. Nous sommes les seuls à générer des déchets.

Dans l’entreprise, c’est l’humain qui est important et sa réflexion sur sa gouvernance, sur la répartition de la valeur, sur l’évolution et les collaborations que ça peut engendrer. C’est cette prise de conscience qui permet par la suite d’avoir une réflexion beaucoup plus importante sur l’impact personnel et collectif qu’on peut avoir sur l’environnement, que ce soit en tant que travailleur, en tant qu’entreprise ou en tant que citoyen. Ne regarder que le prisme environnement n’est pas pour moi une solution. Pour commencer à réfléchir au développement durable et au niveau de l’environnement, il faut un certain bien-être. Quand on a ce bien-être, on a plus de perspectives pour pouvoir réfléchir à l’environnement, à ce qui nous entoure et à l’amour qu’on peut avoir pour l’autre, pour l’écosystème et pour la planète.

Philippe Barras. Quand on parle de développement durable dans les entreprises, pour celles qui sont au début du processus, on regarde directement l’environnement et l’énergie parce que ce sont les mesures les plus visibles et qu’elles permettent directement d’avoir des chiffres. Mais le développement durable dépasse largement cela. Les aspects sociétaux, sociaux et de gouvernance sont tout aussi importants.
C’est pour cette raison que dans le programme de certification retenu par la CCI Wallonie, dès le départ, les entreprises doivent faire 10 objectifs minimum parmi les 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) et couvrir 4 des 5 P (People, Planet, Prosperity, Peace et Partnership). L’idée, c’est que les gens se rendent compte que c’est un processus intégral et transversal et qu’il faudra toucher à tout.

Nathacha Zuinen. Les résultats de l’enquête de l’UWE ne m’étonnent pas. Les entreprises ont l’impression de déjà gérer le socio-économique et qu’elles doivent rajouter une sorte de couche environnementale. Alors que le développement durable, c’est un projet intégré où les enjeux économiques, sociaux, environnementaux et de gouvernance doivent se répondre et se renforcer mutuellement. En tant qu’entreprise ou organisation, la question à se poser, c’est « quelle est ma contribution à ces 17 objectifs dans mon métier ? ». Plutôt que de juste limiter les impacts négatifs, l’enjeu est de s’inscrire dans une démarche positive et de contribution plus constructive.

Les 17 objectifs de développement durable ont été établis à un niveau mondial. Est-ce plus facile pour inciter les entreprises à s’y engager que si chacun avait sa propre nomenclature ?

N.Z. À la suite d’engagements pris à Rio en 1992, tous les Etats membres des Nations Unies et parties prenantes ont été consultés et ont eu le loisir de contribuer. C’est aujourd’hui un langage commun pour de nombreux acteurs et pour les entreprises qui importent et exportent. Le fait d’avoir ces 17 objectifs comme grille commune permet de partager des outils et des normes qui dépassent le cadre de la Belgique, ce qui facilite la communication.

En tant qu’entrepreneurs, connaissiez-vous ces fameux ODD? Quelle est leur importance pour vous?

M.D. En ce qui me concerne, je ne connaissais pas, mais notre démarche date de bien avant qu’on se mette d’accord au niveau mondial. Notre positionnement dès le départ, c’était que notre activité ait le moins d’impact possible sur l’environnement, avec une perspective sur le moyen terme de ne pas avoir d’impact du tout. On essaye de tendre vers l’économie bleue – un modèle économique qui s’inspire de ce que fait déjà la nature – et on va chercher dans tous nos process ce qui n’est pas durable, et on sait qu’on a certains points d’achoppement à travailler y compris chez nos fournisseurs et autres parties prenantes. Il faut aller jusqu’au bout du bout. Par exemple pour produire notre lamellé-collé, on utilise une colle vinyle qui est acceptable, mais qui reste un point à améliorer.

La nouvelle certification en développement durable proposée par les CCI wallonnes a déjà  été expérimentée en Flandre; quels sont les enseignements qu’on peut en tirer au niveau wallon? Quel est l’accueil de la part des entreprises wallonnes?

Ph.B. Dans les CCI, il y avait déjà un background, notamment avec les groupes de travail en Responsabilité Sociétale en Entreprise (RSE). Lorsque les objectifs de développement durable sont apparus en 2015, on a réfléchi à la manière de les transposer.
Du côté néerlandophone, ils ont développé toute une méthodologie. Le VOKA (association entre le patronat et les Chambres de Commerce en Flandre), en partenariat avec l’UNITAR (United Nations Institute for Training and Research, l’agence au sein de l’ONU qui s’occupe de la formation, de la recherche et du développement durable) a organisé un cycle complet de formations en développement durable déjà suivi par 80 entreprises du nord du pays qui ont ainsi obtenu un certificat CIFAL-UNITAR reconnu internationalement.
En Wallonie, 3 entreprises ont démarré leur programme et une quinzaine préparent leur plan d’actions. L’accueil des entreprises est favorable. Même si le lancement en pleine pandémie a un peu ralenti le processus, nous sommes extrêmement confiants.

Au niveau du Service Public de Wallonie, c’est un travail de fond que vous effectuez, avec beaucoup d’actions et des outils que vous avez mis en place. Comment fonctionnez-vous et quelles sont les opérations qui marchent le mieux ?

N.Z. Nous avons créé un site avec l’UWE dédié aux entreprises (www.sdgs-entreprises.be) dans lequel on a présenté 30 entreprises exemplaires pour chaque objectif de développement durable. L’idée, c’est vraiment de sensibiliser d’autres entreprises par l’exemple et d’enclencher le mouvement.
Nous proposons des outils dont les entreprises auraient besoin pour démarrer. On travaille également sur un Business Model Canevas (BMC) durable qui permet aux entreprises, soit au démarrage de leur activité soit lors d’une reconversion, de se questionner. On organise aussi des événements de sensibilisation. L’objectif est d’aller vers les entreprises et de leur présenter tous les outils.
Par ailleurs, nous veillons à la coordination de ce qui se fait au sein des pouvoirs publics et dans l’ensemble des organisations en Wallonie. On a mis en place un comité de pilotage avec la CCI, la Sowalfin, l’AWEX, l’UWE, le SPW Economie pour réfléchir aux outils mis à disposition et aux organisations afin qu’ils soient coordonnés et complémentaires.

On peut imaginer que lorsqu’on est le nez dans le guidon et centré sur son core business, c’est important de disposer d’une boite à outils. La certification est un de ces outils qui permet de structurer les choses; pouvez-vous nous en dire plus ?

Ph.B. Le programme de l’UNITAR se déroule en 3 phases et prend 6 ans en tout. La première phase de 3 ans a pour but d’induire la discussion stratégique et de mettre en place 30 actions et donne déjà droit à une certification, mais il y a moyen d’aller plus loin avec un deuxième cycle de 2 ans principalement axé sur l’économie circulaire et un troisième consacré pendant un an à la gouvernance.
Nous voulions que ce certificat soit adapté aux plus petites entreprises, qu’il soit reconnu à l’international, mais surtout qu’il ait une valeur en Belgique car nous sommes convaincus que rapidement, les pouvoirs publics vont mettre des critères de développement durable dans les marchés publics et que les grands donneurs d’ordres privés vont également suivre.

Pour vous, quelle est l’utilité de la certification pour une entreprise ?

M.D. On s’est effectivement déjà penché sur cette question de la certification et l’installation dans notre nouveau bâtiment est peut- être l’occasion de remettre le processus en marche, mais la question que se pose toujours un entrepreneur, c’est de savoir quel sera, au-delà du geste, le retour sur investissement et dans combien de temps ce sera rentable.

J.-F. E. Cette question de la rentabilité est fondamentale. Si on fait trop de R&D, on peut se perdre et ne plus être rentable. On doit aussi travailler pour valoriser ce qui ne l’est pas et ainsi être plus rentable. Être transparent dans sa démarche pour donner envie aux autres de suivre la même voie et développer des réseaux de collaboration autour d’objectifs communs est également très important et valorisant.

Ph.B. La certification et les indicateurs permettent de faire la différence entre les entreprises qui seraient tentées de faire du greenwashing et celles qui font de réels efforts. Le public, et les jeunes en particulier, sont de mieux en mieux informés et ont des valeurs, et une des manières de pouvoir les suivre est de pouvoir se référer à un label.

Comment toucher des catégories d’entreprises qui ne se sentent pas concernées, comme par exemple, les sociétés de services ou les professions libérales ?

N.Z. Il faut remettre le rôle de l’entreprise au bon endroit et que chacun comprenne que tout le monde est concerné. Les règles vont changer et pour être une entreprise pérenne, il faudra prendre le développement durable en compte. Des banques, par exemple, commencent à avoir des exigences au niveau environnemental pour octroyer des crédits.

Avez-vous un rôle d’exemple ?

J.-F. E.: On a la chance d’avoir commencé là-dedans. Si à travers des événements on peut transmettre notre expérience et donner aux autres des conseils pour qu’ils aillent plus vite, on en sera très heureux. On aimerait aussi aller plus loin et proposer des mises en commun de machines (pour le conditionnement par exemple) ou de systèmes de récupération et de valorisation.

M.D.: Ce que je mets toujours en avant, c’est la rentabilité de ce type d’activités. Rentabilité et développement durable ne sont pas  du tout opposés. Même s’il y a des réticences assez importantes au changement, il y a des décisions fortes à prendre et il faut que toutes les parties prenantes et les gens de terrain soient convaincus.

Quels sont les freins que vous avez rencontrés dans votre démarche ?

J.-F. E.: Il y a malheureusement de nombreux aspects au niveau de la législation qui devraient être améliorés pour permettre certaines innovations écologiques. Nous avons par exemple du mal à promouvoir le vrac à cause d’obligations d’étiquetage. Il y a plein de solutions et énormément de possibilités, mais la grosse difficulté, c’est que quand on vient avec quelque chose de nouveau, on a l’impression qu’il y a des freins immenses pour faire émerger ces solutions. Pourtant, il est important de valoriser tous ceux qui ont des idées vraiment novatrices et leur donner la possibilité d’aller plus loin. Dans notre cas par exemple, pour pouvoir répondre à une demande et proposer nos produits en bouteille d’un litre, la solution en plastique recyclé coûte 4 fois plus cher qu’une bouteille plastique classique, ce qui ne nous permet évidemment pas de rivaliser avec les prix de la grande distribution…

Le développement durable pousse-t-il à la créativité et à l’innovation ?

M.D.: J’en suis convaincu et j’irais même plus loin : pour moi, aujourd’hui, si le développement n’est pas durable, ce n’est pas de l’innovation. Tesla et Amazon, est-ce vraiment de l’innovation ? Je pense qu’il y a des questions à se poser…

J.-F. E: Nous avons changé de modèle. Même si le circulaire n’est peut-être pas encore dans la tête de tout le monde, les choses changent et nous ne sommes plus du tout dans un modèle linéaire.


*** POUR EN SAVOIR PLUS ***

La certification CCIW en développement durable

La CCI aide les entreprises à ancrer la démarche durable dans tous les aspects de leur activité et à atteindre leurs objectifs de durabilité. Avec la certification CCIW et un plan d’action fait sur mesure, les candidats à la certification pourront prétendre à des gains appréciables, tant pour leur entreprise que pour la société et l’environnement.
La CCIW a conclu un accord de partenariat avec CIFAL, l’antenne régionale de l’UNITAR, l’agence de l’ONU en charge du développement durable, qui délivrera ce certificat reconnu internationalement. http://www.cciwallonie.be/wp-content/uploads/2021/03/Flyer-A4-ODD-CCIW.pdf


Besoin d’aide ? D’inspiration ?

D’autres organismes et institutions proposent d’aider les entreprises dans leurs démarches vers le développement durable.

Union Wallonne des Entreprises (UWE)

Site dédié aux Objectifs de Développement Durable pour les entreprises wallonnes : https://sdgs-entreprise.be/

Site dédié à la gestion de l’Environnement en entreprise : https://environnement-entreprise.be/

Site dédié à la gestion de la Mobilité en entreprise : http://www.mobilite-entreprise.be

Site dédié à la gestion collective et durable des Parcs d’Activité Economique : https://www.cpad.be/

Service Public de Wallonie

Outils pour intégrer le développement durable dans l’entreprise: https://developpementdurable.wallonie.be/

Chèques économie circulaire : https://cheques-entreprises.be/cheques/ecocirculaire

Groupe Sowalfin
> https://www.sowalfin.be/eco-transition/
> Easy’Green : aide à la transition énergétique, à la diminution des émissions de CO2, aux projets éco-innovants et d’économie circulaire: http://www.novallia.be/reussir-ma-transition-energetique/easygreen-cest-quoi

Wallonie Design
> WANDERFUL.STREAM : accompagnement de projets en économie circulaire:
https://walloniedesign.be/nos-actions/presentation-du-projet-wanderful-stream/

SRIW
> NEXT : levier financier dans des projets d’économie circulaire en phase de croissance.
https://next.circularwallonia.be/#


Cette table ronde a été publiée dans le magazine de la CCIlvn L’Hobbiz (édition Namur), que les membres de la CCIlvn peuvent consulter sur https://www.ccilvn.be/services/lhobbiz/

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