La direction de Liege Airport tirait la sonnette d’alarme à la mi-octobre et adressait un recours contre le nouveau permis d’environnement délivré à la fin août (cfr. https://www.ccimag.be/2022/10/14/liege-airport-tire-la-sonnette-dalarme/). S’il n’est pas modifié, ce ne sont pas moins de 5000 emplois qui passeront à la trappe.
Le gouvernement wallon devrait confirmer ou modifier le permis entre le 15 janvier et le 15 février 2023, après avoir examiné les 26 recours qui vont dans les deux sens : demande de plus de sévérité ou de plus de souplesse.
Nous avons rencontré Laurent Jossart, CEO de Liege Airport, six semaines après son cri d’alarme.
Monsieur Jossart, Liege Airport apparaît quelque peu isolé dans son combat pour développer l’aéroport liégeois ou bien tout se passe uniquement dans les coulisses ?
Il est vrai que peu d’acteurs s’expriment publiquement. Nous rencontrons beaucoup d’acteurs pour les sensibiliser au danger qui menace Liege Airport, un des plus grands pôles économiques en Région Wallonne. Beaucoup de bourgmestres sont mal pris : en tant que gestionnaires, ils sont évidemment sensibles à une activité économique, mais ils font aussi face à un certain nombre de leurs citoyens hostiles au bruit des avions.
Par ailleurs, les syndicats ont tous affiché un support inconditionnel et ont réagi par la voie de communiqués.
Les différents interlocuteurs que vous rencontrez ces dernières semaines sont-ils sensibles à votre argumentation en faveur de l’assouplissement du nouveau permis d’exploitation ?
Nous percevons en tout cas une évolution favorable car nos arguments sont pertinents. Ils sont partagés tant par beaucoup d’interlocuteurs du monde politique, que par le monde des entreprises et les organisations syndicales. Les menaces de pertes d’emplois massives et de destruction de l’écosystème formé autour de l’aéroport de Liège sont malheureusement avérées.
Pour rappel, votre recours porte sur deux points principaux : une limitation du nombre de mouvements par an et une réduction progressive des vols de nuit, avec disparition probable dans 20 ans. Quels sont vos arguments principaux ?
Concernant le nombre annuel de vols, nous plaidons pour une législation européenne et non locale. Les compagnies qui quitteront Liège iront dans les aéroports des pays voisins. On ne ferait donc que déplacer le problème des émissions CO². Nous ne sommes pas des climato-sceptiques, nous partageons le discours d’une transition écologique nécessaire et on le montre dans bien des aspects et dans nos multiples projets environnementaux. Le Budget 2023 du Groupe Liege Airport recèle plus de 4 millions d’euros d’investissements et 1 million d’euros de frais d’exploitation additionnels relatifs à la transition écologique, mais nous différons sur le chemin, la réponse à apporter. Il faut une même règle pour tous.
La Wallonie, dans une situation économique et budgétaire délicate, peut-elle s’offrir le luxe de sacrifier un pôle économique majeur, structurant et en croissance, avec beaucoup de dégâts sociaux à la clé ?
Et au niveau des vols de nuit, que répondez-vous ?
Ils sont à l’origine du succès économique de l’aéroport de Liège avec l’arrivée de TNT en 1998 et sont toujours indispensables à la viabilité économique de l’aéroport et au maintien, voire la croissance de l’emploi. On l’oublie trop souvent mais l’aéroport a mis beaucoup d’efforts à développer ses activités de jour. Depuis 2022, Liege Airport accueille plus de vols de jour que de nuit et en 2023 le nombre de vols de nuit devrait passer en dessous de la barre des 40% du nombre total de vols. Notre nouveau système de redevance aéronautique, qui sera d’application au 1er janvier 2023, amplifiera la tendance : voler avec un avion peu bruyant en journée coûtera moins cher que voler de nuit avec un avion affichant de moins bonnes performances acoustiques.
Mais une compagnie pourrait-elle arrêter de voler la nuit ?
Non, les vols de nuit font partie intégrante du business model des expressistes (Fedex à Liege Airport, UPS à Cologne, ou encore DHL à Leipzig). Mais il n’y a pas que les expressistes qui ont besoin de vols de nuit. Pour certains types de marchandises périssables, ces vols nocturnes sont indispensables afin d’atteindre les marchés matinaux. Des vols sont aussi tenus par des horaires stricts en Asie et en Amérique (slots aéroportuaires), avec de facto des arrivées de nuit.
Du reste, l’accord signé en 1998 entre le gouvernement wallon et TNT (qui fait aujourd’hui partie de Fedex) prévoit notamment l’ouverture de l’aéroport 24h/24 à un nombre illimité d’avions. Comment allez dire aujourd’hui à un client de l’aéroport qui a investi plus de 200 millions de dollars sur le site qu’on change subitement les règles du jeu ? Quand on essaie d’attirer des investisseurs en Wallonie ou ailleurs, il faut absolument éviter l’insécurité juridique.
Avez-vous des propositions alternatives au permis ?
Liege Airport ne reste ni sourd au message transmis par le permis ni insensible à l’évolution sociétale mettant davantage en avant les préoccupations environnementales. Notre volonté n’est pas de nous arcbouter sur notre projet initial, nous voulons rester constructifs, force de propositions et ouverts au dialogue. Nous souhaitons participer à la recherche d’un permis équilibré et contribuer à la formulation de conditions d’exploitation de l’aéroport compatibles avec un équilibre environnemental, social et économique. Ainsi, nous travaillons à élaborer des propositions alternatives, notamment en matière de vols de nuit des avions les moins performants au niveau acoustique, susceptibles de garantir l’activité et un développement raisonnable de Liege Airport au cours des années à venir, propositions qui sont destinées à être présentées au Gouvernement wallon dans le cadre de la procédure de recours.
Le développement de Liege Airport est un des trop rares dossiers d’envergure pour lesquels les autorités wallonnes ont eu une vision commune sur le long terme. Comment expliquer ce revirement s’il se confirme ?
La Région a investi plus de 400 millions d’euros en faveur des riverains (rachats de 1600 maisons, insonorisation de 5.500 maisons…) ; c’est du jamais vu en Europe.
De plus, en deux décennies, Liege Airport et la Sowaer ont consacré 388 millions d’euros au développement des infrastructures. Notre aéroport est devenu le numéro 5 européen en fret et emploie 10.130 personnes (emplois directs et indirects) selon l’étude du Segefa (ULiège).
La Déclaration de politique générale de l’actuelle majorité wallonne rappelle son soutien à l’aéroport.
Il serait absurde de tuer le bel outil que les acteurs politiques et économiques wallons ont créé.
Avez-vous le sentiment, comme l’affirment beaucoup d’observateurs avertis, que l’arrêt du développement de l’aéroport est avant tout le résultat d’un dogmatisme politique, en clair du parti Ecolo ?
Un renouvellement de permis est un bon timing pour susciter le débat au niveau politique et décider de manière collégiale des moyens que l’on veut se donner pour notre activité économique.
L’aéroport de Liège appartient notamment à la Région Wallonne et à la Province de Liège (via Nethys), donc nous ne faisons jamais de commentaires au niveau politique.
La Région Wallonne est petite par rapport à ses voisins comme la Flandre, l’Allemagne, la France ou les Pays-Bas. Elle doit se serrer les coudes. Nous appelons à un consensus pérenne sur des axes stratégiques et économiquement structurant de la part des gouvernements wallons successifs. Le secteur aéronautique fait partie des success story de la RW avec ses 2 aéroports mais aussi des perles que sont Sonaca, Safran, Sabca… Soyons fiers de nos réalisations dans ce secteur et mettons tout en place afin qu’elles continuent. Le permis condamne l’aéroport de Liège et ce sont les aéroports des pays voisins qui vont en profiter en accueillant les avions qui ne viendront plus chez nous. Est-ce que cela fait du sens ?
(Photo Liege Airport)