Dix années durant, Jacques Germay a occupé la tête de Mécathec, le pôle de compétitivité du génie mécanique. A l’heure de céder le flambeau à un nouveau directeur général, l’homme dresse le bilan réussi de cette décennie marquée par le lancement d’une centaine de projets. Preuve que si, en Wallonie, le génie mécanique est un savoir-faire ancestral, il est aussi un secteur d’avenir.
Vous avez été désigné à la tête du pôle de compétitivité du génie mécanique Mécatech en 2006, dans le cadre du plan Marshall de reconversion de la Wallonie. Quel a été le rôle du pôle ?
J.G. : « Mécatech a reçu comme objectif de développer les activités et l’emploi dans le domaine du génie mécanique. Il devait être une force d’entraînement et œuvrer à la réindustrialisation de la Wallonie. Comment ? Par le montage et la réalisation de projets technologiques innovants à vocation internationale et s’appuyant sur des réseaux collaboratifs. Le gouvernement régional a tout naturellement choisi d’investir dans le génie mécanique parce que la Wallonie dispose d’un savoir-faire quasi ancestral dans ce domaine mais, surtout, parce que le génie mécanique est également un secteur de pointe.»
Pourtant, la mécanique actuelle n’a plus grand-chose à voir avec celle du siècle passé !
J.G. : « C’est exact ! Mais le génie mécanique fait partie de l’ADN wallon ! Il couvre l’activité de création de machines, équipements industriels ou produits de consommation. Il s’appuie sur un socle de plus en plus varié de connaissances et de savoir-faire scientifiques et technologiques : nouveaux matériaux et notamment les nanomatériaux, la fonctionnalisation des surfaces, la chimie, la mécatronique, la microfluidique, les méthodes de simulation et, maintenant, les matériaux organiques et le biomimétisme. On assiste aussi de plus en plus à une hybridation des technologies, ce qui rend indispensable le travail en réseau et le développement de filières car même les grandes entreprises ne peuvent maîtriser l’ensemble des technologies qui entrent dans ces innovations de rupture. »
C’est là qu’interviennent les pôles.
J.G. « Le principe des pôles de compétitivité est en effet de faire travailler ensemble les grandes entreprises, les PME, les universités et les centres de recherche mais aussi de développer des projets en s’appuyant sur l’hybridation des technologies et de savoir-faire différents. A titre d’exemple, Physiol, société spécialisée en implants intraoculaires, ou IBA, leader mondial en protonthérapie du cancer, collaborent avec des sociétés telles qu’Amos, producteur de télescopes géants. En outre, dans une petite région aux moyens financiers forcément limités comme la Wallonie, la recherche doit être valorisée au maximum dans des nouveaux produits et processus industriels. C’est un des intérêts de la collaboration entre les entreprises et les acteurs de la recherche.»
100 projets en 10 ans !
Mécatech fonctionne depuis une dizaine d’années, quel est son bilan ?
J.G. : « Depuis 2006, 100 projets ont été lancés dans le cadre de Mécatech : 71 en recherche, 20 dans le domaine de la formation et 9 en investissements industriels. Ils concernent 284 acteurs, dont 147 entreprises, sans compter les sous-traitants. 250 millions € ont été investis en recherche, dont 82 millions € directement par le secteur privé, sans compter les investissements en production, en marketing et en distribution. Par rapport à l’ensemble du secteur mécanique, on a constaté que les entreprises membres de Mécatech ont connu une augmentation plus importante de leur valeur ajoutée et de l’emploi. De 2006 à 2016, les entreprises du pôle ont vu leur valeur ajoutée croître de 60 % alors que dans le secteur, elle n’a crû que de 5 %. En ce qui concerne l’emploi, il a augmenté de 25 % alors qu’il a globalement diminué de 5 %. Ceci démontre que l’expansion est combinée à un accroissement de productivité et que le pôle a pu être une force d’entraînement en attirant des entreprises en croissance et en jouant son rôle d’accélérateur.»
Jury international et indépendant
C’est en effet un constat encourageant…
J.G. « Le bilan est positif. Il est dû en premier lieu à la rigueur dans le montage et la sélection des projets. Ces projets sont d’abord examinés par la petite équipe de 7 personnes de Mécatech, accompagnées par 5 experts internationaux venus de France, de Suisse et d’Allemagne, ensuite par les membres du conseil d’administration de Mécatech – 12 entreprises, 5 représentants des universités et 3 divers – devant lesquels les promoteurs doivent défendre leur projet. Ceux-ci sont enfin soumis au jury international du Gouvernement wallon. Je me plais à souligner que le Gouvernement régional, auquel appartient la décision ultime, a toujours respecté les choix des jurys. Jamais non plus, je n’ai été ‘sollicité’ pour favoriser tel ou tel candidat… »
Vous insistez sur le fait que les membres des jurys proviennent en grande partie de pays étrangers.
J.G. : « Oui parce que, désormais, au niveau international, la Wallonie est ‘sur les radars’. L’action de contacts et de prospection initiée par Mécatech s’est concentrée sur les pays ou régions proches ou limitrophes comme les Pays-Bas, la Sarre, la Champagne-Ardenne, la Lorraine, la région Rhône-Alpes et la Suisse. Mécatech participe actuellement à deux projets financés par l’Europe sur les thématiques de l’automatisation, de la robotique et du numérique, à travers deux programmes Interreg, auxquels collaborent, outre la Wallonie, la Flandre, le Grand-Duché et des régions du nord de la France et de l’ouest de l’Allemagne. Un troisième projet sera prochainement proposé aux autorités européennes. »
Formation, recyclage, automatisation
La transition entre le déclin de l’industrie lourde traditionnelle et le développement d’activités nouvelles a pris du temps mais à présent, la Wallonie semble se tourner résolument vers l’avenir…
J.G. : « Oui, et trois facteurs seront déterminants pour réussir. L’avenir, c’est d’abord la formation, afin de fournir aux entreprises une main d’œuvre qualifiée. Pour former des techniciens de haut niveau, Mécatech collabore activement avec le Forem, la Fédération de l’industrie technologique Agoria et les centres de formation Technocampus dans le Hainaut, Technifutur à Liège et le campus automobile implanté à proximité du circuit de Francorchamps. L’avenir, c’est aussi l’économie circulaire, basée sur une récupération et un recyclage quasi intégral des produits industriels, qui crée de nouvelles activités, protège l’environnement et rend l’industrie occidentale moins dépendante des matières premières. Un bel exemple, mais il y en a d’autres, c’est Reverse Metallurgy dont l’objectif est de réutiliser presque complètement les métaux rares, comme le chrome, le cobalt, l’or, le tantale ou le platine, utilisés dans les téléphones portables, les ordinateurs et l’appareillage médical. Enfin, la relance économique de la Wallonie passera inévitablement par une automatisation accrue des moyens de production afin de baisser les prix et d’augmenter notre compétitivité. »
Oui mais dans ce cas que devient l’emploi ?
J.G. : « On me pose souvent cette question et je réponds en citant l’exemple de la société Procoplast à Eupen : elle occupait 40 personnes et était en grande difficulté, l’automatisation a d’abord ramené ce chiffre à 22 mais à présent, l’entreprise occupe plus de 100 travailleurs et vient d’inaugurer une nouvelle usine ! L’automatisation peut provoquer, selon les secteurs et en fonction des stratégies industrielles, un mouvement de rapatriement d’un certain nombre d’activités vers l’Europe Occidentale.»
La réindustrialisation de la Wallonie ne serait donc pas une utopie ?
J.G. : « Au contraire, elle est en marche et j’y crois plus que jamais… »
Passage de relais
Désormais, Mécatech va poursuivre son aventure avec un jeune directeur général…
J.G. : « Je ne suis pas fatigué (rires) mais j’ai quand même atteint un âge vénérable, je suis né avant la fin de la seconde guerre mondiale ! J’ai donc proposé au conseil d’administration de Mécatech de céder la direction générale à Anthony Vanputte, un quadra dynamique, qui m’accompagne avec brio depuis 10 ans et a été impliqué dans tous les rouages du Pôle. Et comme je ne suis pas fatigué, en qualité d’administrateur actif, je me suis mis au service d’Anthony pour les questions stratégiques et internationales.»
Un honnête homme !
On peut dire de Jacques Germay qu’il est un homme complet, un ‘honnête homme’, comme on disait au XVIIème siècle. Grand amateur d’art, il organise deux expositions chaque année. Il fut aussi un excellent footballeur, formé au F.C. Liégeois et sélectionné plusieurs fois dans les années 60 dans les équipes nationales universitaire et militaire. Ses études supérieures l’empêchèrent de poursuivre une carrière de sportif professionnel mais il fut néanmoins un bon joueur de troisième division, au Stade de Waremme. Licencié en sciences sociales puis en sciences économiques et financières de l’Université de Liège, il fut aussi assistant de recherches en stratégie des entreprises à la Vanderbilt University de Nashville dans le Tennessee. Avec de telles références, son avenir ne pouvait être que brillant ! Jacques Germay est passé deux fois par la FN : de 1974 à 1980, comme responsable de la planification stratégique, et de 1984 à 1990, comme directeur général de FN-Browning puis de l’ensemble du groupe. Après un détour par Bruges et le Outboard Marine Corporation Group de 1990 à 1992, il a pris en main, pendant près de 10 ans, le développement du Groupe Carmeuse en Amérique du Nord et ses 17 usines.