La publication par Viapass, ce mardi 24 avril, des chiffres 2017 du prélèvement kilométrique pour les véhicules de transport de marchandises de plus de 3,5 tonnes a remis en lumière le débat sur l’application d’un tel prélèvement à tous les usagers de la route (voitures principalement). Il s’agit bien d’une remise en lumière et non d’une proposition neuve car cette proposition est prônée à échéance régulière par quelques acteurs depuis plusieurs années.
L’Union Wallonne des Entreprises (UWE) fait partie de ceux qui souhaitent l’extension du prélèvement kilométrique aux véhicules particuliers. Ce n’est ni nouveau ni sans arguments. Dès 2011 et les premières évocations de la mise en place d’un prélèvement kilométrique pour les poids lourds, l’UWE s’est positionnée, ce qui est d’autant plus légitime que la matière est régionale.
Que dit l’UWE ?
L’UWE dit être favorable à un prélèvement kilométrique mais à la condition unique qu’il soit appliqué à tous les utilisateurs du réseau routier, et pas seulement au seul transport de marchandises.
Ce positionnement trouvait ses bases non seulement dans l’équité, la justice et l’exhaustivité que doit recouvrir le principe du « pollueur – payeur » mais en outre dans la conviction profonde qu’une application partielle de ce principe ne permettrait pas d’atteindre les objectifs de réduction de la congestion de trafic et des émissions atmosphériques a priori recherchés.
Certaines études indépendantes (dont celle du Bureau du Plan en 2015) confirmaient entretemps cette conviction et soulignaient également que pour obtenir le plein bénéfice d’un prélèvement kilométrique, il était nécessaire de l’appliquer à tous.
Ce choix n’a pourtant, et hélas, pas été posé par les trois Régions, qui ont restreint l’application aux seuls véhicules de transport de marchandises.
Que dit l’UWE aujourd’hui ?
En parfaite cohérence avec ce que l’UWE présageait dès 2011, elle constate aujourd’hui que le prélèvement kilométrique pour poids lourds n’a atteint qu’un seul objectif, celui des rentrées financières. Il n’y a pas moins de congestion, il n’y a pas moins d’émissions atmosphériques globales dues au transport et il n’y a pas de report modal des marchandises de la route vers la voie d’eau et le rail (également attendu a priori).
Dans ce contexte, il parait impératif que les autorités régionales révisent leur positionnement et s’interrogent objectivement sur l’intérêt que pourrait avoir l’extension du prélèvement kilométrique à tous.
Il est à noter que la Commission Européenne planche actuellement sur la révision de la Directive Eurovignette et qu’elle suggère dans ce cadre aux Etats, non seulement de mettre en œuvre un prélèvement proportionnel à l’usage du réseau routier, mais en outre de l’appliquer à tous les utilisateurs. Le train du prélèvement proportionnel est donc en marche, mettre la tête dans le sable ne l’empêchera pas d’avancer.
Des arguments qui ne tiennent pas la route
Ces dernières heures, des arguments de toutes natures ont été émis pour justifier un refus de cette extension.
Les représentants de diverses autorités ou groupes de pression ont principalement mis en avant la forte pression fiscale existant déjà sur les automobilistes et la problématique des habitants de la ruralité ou, plus largement, de ceux ne disposant pas d’alternatives crédibles à l’usage de la voiture.
Par rapport au premier argument, l’UWE ne souhaite évidemment pas que la pression fiscale s’accroisse globalement mais estime que la fiscalité routière actuellement pratiquée (y compris via les accises) n’a aucun effet levier probant pour orienter les choix de mobilité, améliorer la fluidité de nos réseaux et réduire les émissions atmosphériques globales du transport routier. La Wallonie détient la compétence sur la taxe de mise en circulation et la taxe de circulation et en retirera environ 600 millions euros de recettes en 2018. Sachant que près de 30 milliards de kilomètres sont parcourus chaque année par des voitures en Wallonie, cette taxe équivaut à un prélèvement kilométrique théorique moyen de 2 cents par kilomètre.
Quelqu’un peut-il sérieusement affirmer aujourd’hui que l’usage tant de cette compétence que de ces recettes modifie fondamentalement les comportements de mobilité liés aux 1.750.000 voitures du parc wallon ? Quelqu’un peut-il également affirmer avec la même assurance que les automobilistes organisent leur mobilité sur base du montant des accises inclus dans le prix de leur litre de carburant ? Enfin, quelqu’un peut-il nous dire quelle autorité a mis en avant cet argument lorsqu’il s’est agi de faire littéralement exploser la fiscalité du transport de marchandises ? Il ne s’agit donc pas pour l’UWE de taxer plus mais de taxer mieux afin d’orienter réellement la demande de mobilité.
L’argument de la ruralité et du manque d’alternatives permet de pleinement défendre cette idée de fiscalité intelligente que prône l’UWE. Une fiscalité routière est intelligente si elle permet de prendre en compte des situations spécifiques. Une fiscalité intelligente est celle qui pénalise des comportements modifiables et non ceux qui ne le sont pas. Une fiscalité intelligente varie selon l’heure, le lieu, le véhicule (un camion payera par exemple légitimement plus qu’une voiture)… Les éléments de ruralité et d’absence d’alternatives sont dès lors explicitement pris en compte dans une fiscalité de cette nature, afin justement d’en atténuer les contraintes.
Objectivons le débat !
Sur base de l’ensemble de ces éléments et après avoir entendu de nombreux propos davantage teintés par l’idéologie que par la raison, l’UWE demande une nouvelle fois à la Wallonie de s’engager dans une étude scientifique neutre devant permettre d’analyser la faisabilité technique, juridique, économique, etc, d’un tel projet, et de proposer des scénarios possibles de tarification. Ce ne sera que sur base d’une telle étude que les autorités pourront, selon nous, objectiver leur décision de s’engager ou non dans ce choix politique. La Flandre a lancé une telle étude et en attend les conclusions pour début 2019.
Alors que la Wallonie a pleinement pris la mesure de l’intérêt de la réalisation d’une étude d’impact socio-économique pour le prélèvement kilométrique pour les poids lourds afin d’en accompagner au mieux les effets, il serait incompréhensible qu’elle ne s’engage pas dans cette voie au moment où l’Europe et nos voisins régionaux s’y dirigent. La Wallonie ne peut risquer d’être totalement démunie et en incapacité de mettre en avant ses spécificités le jour où elle aura à entamer ce débat avec ces interlocuteurs.
Cohérence des actes et des discours
Chacun souhaite que soient améliorées la mobilité des citoyens wallons et l’accessibilité de nos villes et de nos campagnes et ce, au profit d’un développement individuel et collectif. La Wallonie ne peut à la fois le souhaiter et s’empêcher de réfléchir aux modalités de la mesure la plus performante pour y parvenir.
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