Vincent Reuter, Administrateur délégué de l’Union Wallonne des Entreprises (UWE), s’exprime sur la situation économique de notre région. Il rappelle la profonde inadéquation existant entre les besoins des entreprises et la qualification des jeunes. Un problème dont les parents ne sont pas moins responsables que la classe politique…
On continue à lire et à entendre que la Wallonie est à la traîne. Quel est votre avis sur l’action du gouvernement wallon ?
V.R. : « L’UWE est satisfaite du dispositif mis en place par le Ministre de l’Economie, Jean-Claude Marcourt, pour la promotion de l’économie numérique, avec un conseil du numérique et un groupe de travail et de réflexion sur l’industrie numérique qui sera un élément essentiel de la réindustrialisation indispensable de la Wallonie. Nous sommes aussi très contents des mesures prises pour encourager les entrepreneurs wallons à exporter grâce à une simplification de certaines démarches administratives. Nous voyons aussi d’un bon œil la révision des règles en matière d’incitants financiers en faveur des investissements. La subvention de base de 6% accordée dans les zones de développement définies par l’Union européenne pourra être augmentée en fonction de la nécessité économique, de l’innovation, de l’exportation et de la création d’emplois. Autre bon point au crédit du gouvernement wallon : la solution proposée par le Ministre de l’Energie, Paul Furlan, au fameux problème des certificats verts. L’exonération fiscale en “récompense” d’une amélioration de l’efficience énergétique des entreprises va aussi dans le bon sens. Ceci dit, l’énergie, en particulier l’électricité, reste toujours très chère, beaucoup plus que chez nos concurrents étrangers. Il n’est pas normal, par exemple, que les consommateurs, privés et entreprises, paient la consommation des communes… Bref, tout n’est donc pas parfait mais certaines mesures sont encourageantes. »
1,1 % de croissance en Wallonie
A propos des perspectives pour 2015, vous avez parlé récemment de feu “vert pâle”.
V.R. : « En effet ! On s’attend à une reprise mais celle-ci ne sera pas glorieuse : on prévoit une croissance de 1,5% pour la Belgique mais seulement de 1,1% en Wallonie. Mais je ne veux pas être défaitiste : il y a 86.000 emplois non pourvus dans l’ensemble du pays, donc, il y a du travail ! Mais on ne cesse de le répéter au niveau wallon : il existe une profonde inadéquation entre les besoins des entreprises et la qualification des jeunes. La moitié des demandeurs d’emploi en Wallonie n’ont pas leur diplôme de l’enseignement secondaire et 15% des jeunes quittent l’enseignement sans diplôme ! Trouver des travailleurs qualifiés est vraiment un des enjeux majeurs de la Wallonie.»
Il y a tellement longtemps qu’on en parle ! N’est-ce pas un problème culturel et sociétal ?
V.R. : « Si ! Et je dirai que les parents sont au moins aussi responsables, si pas plus, que le monde politique ! Tout le monde veut que ses enfants fréquentent l’enseignement général, alors que l’enseignement qualifiant peut conduire à des emplois disponibles et rémunérateurs, dont la société wallonne a d’ailleurs grand besoin. Il y a certainement aussi un problème d’information mais, dans ce domaine, les employeurs sont prêts à jouer le jeu et à informer les jeunes, en collaboration avec le monde de l’enseignement.»
Pour en revenir à la situation de la Wallonie, la polémique avec le gouvernement fédéral et les dizaines de millions supplémentaires à économiser par le gouvernement régional ne vont pas améliorer l’économie wallonne…
V.R. : « Non, c’est sûr ! Certaines aides et certains incitants financiers risquent d’être rabotés, voire supprimés. Le gouvernement régional pourrait aussi être contraint de renoncer ou de postposer certains investissements d’infrastructures. Ce ne serait pas bon, en particulier pour le secteur des travaux publics et de la construction.»
Quelles sont vos attentes, tant de la part des autorités fédérales que régionales ?
V.R. : « Willy Borsus, le ministre fédéral responsable des indépendants et des PME, a annoncé une série de mesures, notamment une baisse accrue des charges sociales pour les trois premiers emplois, mais cela ne règle pas le problème de la compétitivité de nos entreprises. Nous attendons que le gouvernement fédéral diminue le coût du travail de manière significative. Nous réclamons aussi une baisse substantielle du coût de l’énergie qui nous mette sur un pied d’égalité vis-à-vis de nos concurrents. Au niveau wallon, le gouvernement régional doit absolument réussir le développement de l’économie numérique, ou plutôt la numérisation de l’économie, sans laquelle il n’y aura pas de réindustrialisation possible de la Wallonie. Je vous ai dit plus haut que le ministre Marcourt allait dans le bon sens. Nos autres attentes : un meilleur financement des entreprises, notamment par un accès plus facile au capital à risque, la fin des fatras de formulaires par la mise en œuvre, enfin, de la fameuse simplification administrative, véritable tonneau des Danaïdes dont on parle depuis si longtemps et qui n’arrive pas ou si peu. Nous réclamons aussi un cadre réglementaire mieux adapté pour les PME : le gouvernement wallon ne fait pas assez la distinction entre les grandes et les petites entreprises qui vivent pourtant des situations très différentes.»
Ceci dit, le contexte international est plutôt favorable avec des taux d’intérêt très bas, un euro faible et le baril de pétrole bon marché, même si on constate une tendance à la hausse depuis quelques semaines.
V.R. : « On ne peut pas nier que pour les entreprises wallonnes qui exportent en dehors de l’Union européenne et sont payées en dollars, le contexte est favorable. Par contre, pour celles qui exportent dans l’Union – et c’est la majorité -, la santé de l’euro n’a pas d’impact. En économie, rien n’est jamais simple ! Face au risque de déflation, la BCE a décidé d’employer un “bazooka monétaire” en rachetant les obligations, entre autres des obligations d’Etat, mais avec un effet potentiellement pervers inverse : le risque d’inflation.
Le saut d’index était indispensable
Actuellement, cette inflation est quasi nulle. Le saut d’index était-il vraiment nécessaire ?
V.R. : « D’abord, pour certains secteurs, ce saut d’index était indispensable. Demandez chez Agoria ! D’autre part, il était devenu impérieux de montrer aux investisseurs étrangers que les autorités belges prennent vraiment à bras le corps le problème du coût du travail dans notre pays.»
Mais cela a entraîné une détérioration du climat social et cela, les entreprises n’aiment pas…
V.R. : « Il est évident que les mouvements de grève répétés ne sont pas de nature à encourager les investisseurs à venir chez nous. Les syndicats sont préoccupés par la résorption du chômage mais pas vraiment par la compétitivité des entreprises. Ils préfèrent alors parler de “cadeaux aux patrons”. Autre remarque : les grèves touchent principalement les services publics, et surtout les transports, mais, évidemment, cela suffit à paralyser un pays ou une région. Je crois sincèrement qu’il y a du côté des organisations syndicales un discours de dramatisation qui ne correspond pas à la réalité. Avec la dégringolade du prix du chauffage et des carburants, le pouvoir d’achat est préservé. Ensuite, je crois que le gouvernement fédéral veut réellement sauver la sécurité sociale en prenant des mesures qui garantissent la pérennité du système.»
Prépensions : impossible de continuer !
Notamment, par la réforme des pensions et des prépensions ?
V.R. : « D’où vient-on ? Du choc pétrolier du début des années septante et de la crise industrielle qui a suivi avec des restructurations d’entreprises et de nombreuses pertes d’emploi. Le système des prépensions a alors servi d’amortisseur social. Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas, c’est devenu un élément de gestion des ressources humaines au sein des entreprises. On ne peut pas continuer comme ça : en Belgique, l’âge moyen de départ à la retraite est de 59 ans alors que la moyenne européenne est de 63 ans ! Il faut maintenir les anciens au travail le plus longtemps possible et il me semble logique qu’ils restent disponibles en cas de prépension, comme les chômeurs, puisqu’ils sont en partie payés par le biais d’allocations de chômage. Il est évident que cette disponibilité devra être accompagnée et adaptée en fonction des métiers.»
Et les jeunes dans tout cela ?
V.R. : « La plupart des économistes le disent et la situation, notamment dans les pays scandinaves, le prouve : il n’y a pas de lien entre le départ des anciens et l’emploi des jeunes. Quant au partage du temps de travail, c’est le partage de la misère ! Le véritable problème des jeunes, c’est la formation et c’est un enjeu crucial pour la Wallonie.»
C’est la principale cause du chômage ?
V.R. : « C’est en tout cas une des causes principales. Avec la composition du tissu industriel et économique : le secteur public est trop important et la Wallonie reste encore une terre de vieille industrie. Même si, actuellement, le taux de création de nouvelles entreprises est égal à celui de la Flandre, il y a encore trop peu d’entreprises privées en Wallonie et elles ne grandissent pas assez vite. Conséquence : alors que le taux de chômage en Flandre est de 5,7% – mieux que les Etats-Unis ! -, en Wallonie, il est de près de 12% et, en vingt ans, il n’est jamais descendu sous les 9%. Même si on note depuis quelques mois une tendance à la baisse, Il reste encore beaucoup à faire et le temps presse…»