Ancien banquier, Carl-Alexandre ROBYN conseille, depuis une vingtaine d’années, les TPE et les start-ups dans leur processus de création, de gestion et de financement. Fondateur du cabinet de VALORO (spécialisé dans l’ingénierie financière à l’usage des start-ups), il est également un business angel reconnu à l’origine du fonds VALORO STARTUP FUND. Il nous dévoile les éléments qui, selon lui, freinent la création d’entreprise en Belgique.
Les fondateurs belges sont courageux mais pas téméraires : contrairement à leurs pairs anglo-saxons, trois quarts des fondateurs ne mobilisent pas l’entièreté de leurs économies pour lancer leur projet. Sur 129 cofondateurs interrogés, 31 avouent avoir investi dans leur projet moins de la moitié de leurs fonds personnels disponibles. Tandis que 47 d’entre eux reconnaissent n’avoir consacré que la moitié de leurs économies pour lancer leur projet et 19 annoncent avoir investi près des trois quarts de leurs ressources financières. Seuls 32 fondateurs ont déclaré avoir investi tout ce qu’ils avaient pour donner une chance à leur entreprise. La plupart des fondateurs reconnaissent leur attirance pour le crowdfunding pour des raisons évidentes (test, traction, buzz, etc.) mais aussi pour une raison moins avouable : recourir à la foule plutôt que risquer sa « brave geld ».
Le manque de talents entrepreneuriaux et communicationnels
Plus de 90 % des jeunes pousses échouent à lever des capitaux de démarrage (first round capital).
Notre écosystème « start-up » est un vivier riche de talents, mais, si les fondateurs sont porteurs d’un potentiel créatif prometteur, beaucoup manquent des soft skills nécessaires à la concrétisation de ce potentiel, selon les 18 capitaux-risqueurs (business angels sociétés de capital-risque, Family Offices) interviewés.
Ce sont les aptitudes sociales et interpersonnelles (savoir communiquer et entrer en relation, travailler en équipe, gérer son temps et se gérer soi-même, prendre des décisions et des initiatives, prendre ses responsabilités): elles sont essentielles pour les investisseurs et pourtant elles ne sont pas, ou alors mal, sondées et donc peu ou pas évaluées par les fondateurs et leurs accompagnateurs (Business & Expertise Centers, incubateurs, accélérateurs, comptables, avocats, etc.).
Le plan d’affaires recèle les réponses à mille questions qui, en fait, se résument à un unique problème : gagner le cœur des investisseurs. Or, ce n’est pas le contenu du business plan (un descriptif plus ou moins long de la faisabilité commerciale du projet) qui les convainc d’investir, ce sont plutôt les tempéraments (notamment la motivation, la détermination, la pugnacité des fondateurs). En somme, le plan d’affaires vous obtient le rendez-vous mais ce sont vos aptitudes interpersonnelles qui vous obtiennent l’investissement recherché.
Les entrepreneurs ne maîtrisent pas l’art du pitch ! C’est le premier défi, souvent non réussi. Le potentiel créatif de nos entrepreneurs est tout aussi valable que celui des entrepreneurs anglo-saxons, leurs produits et technologies sont aussi bons que leurs équivalents anglo-saxons. Mais pour se vendre les Anglo-Saxons sont les rois, probablement parce qu’ils maîtrisent bien mieux que ne le font les entrepreneurs continentaux le concept d’investors’readiness.
De l’avis général des investisseurs privés contactés la plupart de nos jeunes pousses sont insuffisamment préparées à affronter les investisseurs. La grosse majorité des plans d’affaires présentés ne sont pas accompagnés d’une proposition d’investissement à proprement parler. Apparemment nos entrepreneurs éprouvent des difficultés à faire la distinction entre business plan et opportunité financière. Se contenter de mentionner le montant recherché et préciser à quoi vont servir les fonds levés n’est pas suffisant. Les investisseurs veulent avant tout savoir ce qu’il y a pour eux dans le projet présenté ; c’est-à-dire combien cela va leur rapporter, comment et dans quels délais. L’inanité de la plupart des plans financiers s’explique entre autre par la difficulté qu’éprouvent les fondateurs à valoriser leur start-up et partant à organiser les conditions possibles de l’ouverture de son capital-actions et donc sa structuration financière.
Ainsi, beaucoup trop d’entrepreneurs répètent les mêmes erreurs et approchent bien trop tôt les investisseurs, munis d’une proposition d’investissement souvent nettement peu attractive financièrement.
L’impréparation des demandeurs de capitaux est couplée à un coaching assez médiocre qui ne permet pas aux primo fondateurs d’éviter les erreurs typiques des débutants : 1) une sélection bâclée de leurs associés (sondage insuffisant de leur légitimité ou capacité entrepreneuriale), 2) une répartition du « gâteau » en parts égales (l’iso-répartition engendre souvent la méfiance des investisseurs qui y voient une inaptitude des fondateurs aux négociations entrepreneuriales parce que ce mode de distribution est irréaliste tant il masque les capacités et les contributions réelles de chaque membre de l’équipe fondatrice).
En Belgique, nous avons d’excellentes écoles de management, et un dispositif public d’accompagnement de porteurs de projet complet et qui fonctionne, mais les étudiants qui en sortent sont souvent un peu perdus car on ne leur apprend pas comment démarcher leurs futurs associés (cofondateurs et investisseurs).
En moyenne, seulement un porteur de projet sur vingt se voit invité par des business angels à venir présenter son projet et une start-up sur cent cinquante est reçue par des sociétés de capital-risque. Alors que ces capitaux-risqueurs regorgent de ressources.
L’envenimation de l’écosystème startups
Un tsunami de primes et subsides publics qui agit comme une sorte d’application dérivée de la théorie économique du ruissellement qui veut que l’injection massive de fonds publics alimente l’écosystème des entreprises émergentes. Ce fléau engendre une augmentation sous-estimée de la jungle paperassière: plus de 170 formes d’aides répertoriées dont les conditions d’octroi sont très variées et parfois diaboliques, ce qui fait fuir les investisseurs.
Ajoutons à cela une déferlante de règlementations protectrices pour les épargnants mais surtout castratrices pour les investisseurs avec pour corollaire l’instauration d’intermédiaires obligés et donc des rentes de situation tels, pour les plateformes de crowdfunding, les éditeurs de prospectus automatisés coûteux dont la valeur ajoutée est loin d’être démontrée. Des rapports irréprochables sur la forme, rédigés dans un style net et précis qui compense avantageusement leur totale vacuité et qui fournissent des évaluations picrocholines à l’emporte-pièce. Ce sont des analyses très solides mais dépourvues de signification. Le niveau moyen des analyses est tellement médiocre qu’une start-up n’a pas besoin d’être exceptionnelle pour se bâtir une réputation d’excellence.
Le raz de marée des subventions engendre une multiplication des week-ends marathons : start-up week-ends ou hackathons (sorte de stages de codage pour mettre sur pied des applications ou des logiciels) durant lesquels les étudiants se réunissent pour travailler non-stop à des projets de startups et échanger avec des pros. Cela a pour effet une épidémie de bullshit startups (« startups à la con » qui usent les nerfs des investisseurs aguerris) et la prolifération des bullshit coaches, enthousiastes mais qui n’ont jamais eux-mêmes créé de start-up et rayonnant de cette certitude de tout savoir sur les investisseurs et sur le marché des capitaux à risque qui prend trop souvent le pas sur l’intelligence.
Auteur : Carl-Alexandre Robyn – Startup Financial Architect – Cabinet Valorofundraising