Propos recueillis par Tatiana Hamaide.
«Qu’est-ce qui fait débat, quels sont les grands enjeux aujourd’hui en matière énergétique en Belgique ? », c’est la question que nous avons posée à Carlo Morettin, Directeur du site d’Aperam Châtelet et Administrateur de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Hainaut. Pour ce patron d’aciérie, l’une des usines les plus consommatrices d’électricité que compte notre pays, les grandes problématiques actuelles au niveau énergétique pour l’industrie en Belgique – et en Wallonie en particulier – concerneraient les coûts, la disponibilité de l’énergie et l’avenir en lien avec la décarbonisation.
Coût d’électricité pour les industries et singularité de la Wallonie
Pour les entreprises dites « électro-intensives » (les grosses consommatrices d’électricité), essentiellement des industries, le coût de l’électricité en Belgique par rapport aux pays environnants est plus élevé. Et en Wallonie, ce coût est encore plus élevé. Mais pourquoi la Wallonie se singularise-t-elle au niveau de ce coût ? Selon Carlo Morettin, la réponse est claire : essentiellement par une compensation de CO2 différente. « L’Europe autorise les régions, les états, et sans que cela soit considéré illégal sur le plan des règles de la concurrence, à rétrocéder aux entreprises électro-intensives tout ou partie de ce qu’elles paient dans le prix de l’électricité, et qui correspond au CO2 émis par le producteur d’électricité. La plupart des états ou régions ont fait le choix de soutenir leur industrie en rétrocédant la totalité ». C’est le cas de la France, l’Allemagne et de la Flandre. « Et c’est là que la Wallonie se distinguait parce que, jusqu’il y a peu, elle ne rétrocédait que très peu. Mais, quand les prix du CO2 se sont envolés, le fossé s’est creusé avec les autres régions », explique Carlo Morettin, qui précise également qu’une récente décision du gouvernement wallon de débloquer un budget supplémentaire a heureusement permis de réduire l’écart.
Mais cette différence de coût s’explique aussi, selon Carlo Morettin, par une politique différente de certificats verts : “les choix faits par la Wallonie en ce domaine ne favorisent pas l’industrie. Ce qui n’est pas le cas en Flandre ». Au nord du pays, les industriels bénéficient d’un système qui prévoit un plafonnement des montants payés par une entreprise pour les certificats verts, même si ce sont de plus gros consommateurs. « Une manière pour la Flandre de soutenir ces derniers et d’éviter qu’ils délocalisent leur activité ». Enfin, cette différence du coût de l’électricité en Wallonie serait aussi liée à un volet taxe et transport, mais ce serait « le trait de plume » à côté de la compensation CO2 et les certificats verts, selon notre interlocuteur.
La question de la disponibilité de l’électricité
Sans pour autant vouloir s’immiscer dans des choix qui doivent rester uniquement politiques, il est clair que la question de la sécurité d’approvisionnement énergétique à un coût concurrentiel, en lien avec l’arrêt programmé des centrales nucléaires, reste un sujet d’inquiétude pour l’industrie. Carlo Morettin observe que certains pays ont anticipé les actions nécessaires pour assurer une transition sereine, alors qu’en Belgique, il subsiste encore de nombreuses interrogations. « Il ne faudrait pas que l’on passe par une phase d’instabilité parce qu’on s’y est pris trop tard » dit-il. Ce qui ne serait pas le cas des Allemands, par exemple, qui ont préparé leur sortie nucléaire et leur passage aux énergies vertes depuis de nombreuses années. Ceux-là remplacent déjà leurs premières éoliennes qui sont en fin de vie ! La grosse crainte, pour tous, reste à savoir si nous pourrons compter sur une alimentation électrique fiable et à un coût comparable à nos voisins.
Un futur vers la décarbonisation
On sait que l’Europe s’est engagée à une décarbonisation complète en 2050, et à une décarbonisation réduite de moitié pour 2030. L’urgence se fait ressentir et beaucoup d’industriels l’ont bien compris. Pour eux, l’enjeu est de passer à l’électrification et à l’hydrogène. Carlo Morettin en est persuadé : « une région qui n’aura pas dans un futur proche un réseau hydrogène ou, dans certains cas, un système de captage du CO2, sera une terre où l’industrie ne pourra se développer ni même survivre. Ce sera un prérequis. » De grands choix se font d’ailleurs dès maintenant quant aux futurs réseaux de distribution de l’hydrogène. Et l’Europe, la Belgique sont déjà occupées à dessiner des réseaux de pipelines sur leur carte. Le patron du site d’Aperam Châtelet espère bien que la Wallonie prendra aussi le train de ces réseaux essentiels à la survie du secteur industriel. Parallèlement à tout ceci, Carlo Morettin ajoute qu’il faut également parler des réseaux de captage du CO2 qui sont importants pour assurer une transition douce pour des secteurs où la décarbonisation complète n’est pas possible à brève échéance. « Certains industriels pourraient être connectés à ces réseaux qui achemineraient le CO2 vers des usines de transformation (pour en faire du fioul, par exemple) ou des centres d’enfouissement ».