Liège-Verviers

TABLE RONDE LIEGEOISE ET VERVIETOISE : comment réussir sa transition durable ?

10 Minute(s) de lecture

Le développement durable est un des grands enjeux des années à venir. À la lumière de la grande enquête publiée par l’Union Wallonne des Entreprises fin 2021, on constate que les décalages de compréhension de cette notion néanmoins très répandue sont encore nombreux.
Développement durable ne veut pas uniquement dire respect de l’environnement ; c’est aussi une réflexion sur les aspects économiques et sociaux, sur la bonne gouvernance et sur les possibilités de partenariats.
Les progrès réalisés par les entreprises sont nombreux, mais les défis restent immenses.

Votre CCI a réuni des acteurs clés et des entrepreneurs particulièrement impliqués, tous soucieux d’inspirer d’autres entreprises.

Les participants:

– Philippe Barras, président de la CCI Wallonie et coordinateur de la certification en développement durable
Olivier Geelhand, responsable commercial, marketing et développement de l’entreprise Heinen à Malmedy
– Pierre Henry, administrateur de l’Ordre des Barreaux francophone et germanophone de Belgique
Benoît Minet, conseiller en responsabilité sociétale des entreprises (RSE) à l’Union Wallonne des Entreprises (UWE)
Jacques Pélerin, directeur général de Reverse Metallurgy (également président du comité exécutif du GRE, Jury des Pôles de Compétitivité et membre de la Classe Technologie et Société de l’Académie Royale de Belgique

Aviez-vous déjà entendu parler des Objectifs de Développement Durable (ODD ou SDGs en anglais) avant de vous inscrire dans ce processus de certification organisé par la Chambre de Commerce et d’Industrie?

Olivier Geelhand. Nous en avions déjà entendu parler, mais j’aurais été incapable de vous en citer 5. On s’était déjà posé la question, à la suite de soumissions dans des marchés publics, de savoir quel était, par exemple, le pourcentage d’une porte qui peut être recyclée.
C’est grâce aux informations communiquées par la CCI et à la proposition de certification qu’on s’est véritablement arrêté sur ce genre de questions. Cette initiative de certification a été pour nous l’élément déclencheur. On s’est dit : ‘’Le train passe, on saute dedans !’’.

Pierre Henry. En 2015, lorsque les 17 Objectifs de Développement Durable sont sortis, on en avait juste une connaissance théorique. On savait qu’on voulait avancer dans ce sens avec l’Ordre des Barreaux francophones et germanophone, que c’était essentiel pour l’avenir, mais on ne savait pas comment être durable.
Au-delà du fait d’être certifié, c’est la démarche de certification en elle-même, l’outil de travail qui est vraiment intéressant, global et participatif. Le fait de pouvoir échanger entre certifiés amène aussi une richesse supplémentaire.

Une récente enquête de l’Union Wallonne des Entreprises (UWE) a montré que lorsqu’une entreprise pense développement durable, ce sont surtout les aspects environnementaux qui sont considérés. Est-ce également ce que vous percevez à travers vos différentes fonctions ? Le fait que ces ODD soient définis à l’échelon mondial est-il particulièrement fédérateur ?

Philippe Barras. Quand on parle de développement durable dans les entreprises, pour celles qui sont au début du processus, on regarde directement l’environnement et l’énergie parce que ce sont les mesures les plus visibles et qu’elles permettent directement d’avoir des chiffres. Mais le développement durable dépasse largement ces éléments. Les aspects sociétaux, sociaux et de gouvernance sont tout aussi importants. C’est pour cette raison que dans le programme de certification retenu par la CCI Wallonie, dès le départ, les entreprises doivent faire 10 objectifs minimum parmi les 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) et couvrir 4 des 5 P (People, Planet, Prosperity, Peace et Partnership). L’idée, c’est que les gens se rendent compte que c’est un processus intégral et transversal et qu’il faudra toucher à tout.

Benoit Minet. Nous avons déjà eu des retours de grandes entreprises qui nous disent qu’elles ont déjà du personnel en interne chargé du développement durable et qu’elles travaillent déjà avec des standards internationaux orientés investisseurs. Ces sociétés membres de grands groupes s’accordent à dire que, pour communiquer avec le personnel, pour sensibiliser les parties prenantes et pour amener le débat en entreprise, les ODD sont un excellent outil, même si elles n’en ont pas forcément besoin pour définir leur stratégie. Ils sont compréhensibles, colorés, ludiques et adaptés à presque toutes les situations.
Il faut quand même souligner qu’au départ, ces Objectifs de Développement Durable ont été créés à destination des Etats ou des régions, et que c’est une grille d’actions universelle pour tous les domaines d’activités y compris des professions libérales, des écoles ou toute personne qui veut s’en emparer. Il a donc fallu les vulgariser, déterminer les cibles pertinentes pour les entreprises wallonnes et les adapter pour proposer un catalogue d’actions de terrain clé sur porte.
Une des missions principales que nous avons est de sensibiliser les entreprises sur le fait que tous les ODD sont liés et interconnectés. Les aspects environnementaux ne sont qu’une petite partie visible des aspects du développement durable. Il ne faut pas négliger la rentabilité, les conséquences sociales, la gouvernance, etc. S’interroger sur le développement durable permet d’élargir la réflexion et de considérer l’ensemble des écosystèmes qu’il y a autour : les valeurs de l’entreprise, ses impacts. L’objectif est de maximiser les impacts positifs et limiter les externalités négatives.
Il est également important de déterminer, notamment grâce à la certification, des indicateurs pour chaque action (KPI) pour pouvoir évaluer l’impact des mesures prises.
La majorité des entreprises nous disent : « si on ne fait rien aujourd’hui, on est mort demain ». Il faut au moins commencer à se poser les bonnes questions. Pour être compétitifs, pouvoir souscrire à des marchés publics et obtenir des financements, les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) vont être déterminants quelle que soit la taille des entreprises.

La certification a déjà été expérimentée en Flandre; quels sont les enseignements qu’on peut en tirer au niveau wallon? Quel est l’accueil de la part des entreprises wallonnes?

Ph.B. Dans les CCI, il y avait déjà un background, notamment avec les groupes de travail en Responsabilité Sociétale en Entreprise (RSE). Lorsque les objectifs de développement durable sont apparus en 2015, on a réfléchi à la manière de les transposer. Du côté néerlandophone, ils ont développé toute une méthodologie. Le VOKA (association entre le patronat et les Chambres de Commerce en Flandre), en partenariat avec l’UNITAR (United Nations Institute for Training and Research, l’agence au sein de l’ONU qui s’occupe de la formation, de la recherche et du développement durable) a organisé un cycle complet de formations en développement durable déjà suivi par 80 entreprises du nord du pays qui ont ainsi obtenu un certificat CIFAL-UNITAR reconnu internationalement.
En Wallonie, 3 entreprises ont démarré leur programme et une quinzaine préparent leur plan d’actions. L’accueil des entreprises est favorable. Même si le lancement en pleine pandémie a un peu ralenti le processus, nous sommes extrêmement confiants.

Est-ce plus facile de s’inscrire dans le processus quand on démarre un projet ou lorsqu’on a une entreprise qui roule depuis des années ?

Jacques Pèlerin. L’intérêt, c’est d’avoir une prise de conscience à un moment donné et d’intégrer le développement durable dans la conception de projets et la réalisation d’objectifs. Les ODD sont très intéressants en termes d’éducation et de sensibilisation, et permettent d’aller au-delà de l’aspect environnemental mais il faut les compléter par d’autres indicateurs, financiers notamment. Le plus difficile, c’est de convaincre les dirigeants de PME qu’on peut créer une réelle valeur ajoutée avec le développement durable. L’essentiel, c’est de rentrer dedans et d’être guidé. La certification est un moyen.

Olivier Geelhand (Heinen)

O.G. Dans notre cas, nous avions une affaire qui avait déjà une longue tradition. Le fait de proposer un produit qualitatif et durable était déjà dans notre ADN. Mais pour nous lancer dans la certification, nous avons profité d’un moment charnière dans la vie de l’entreprise. Un nouveau départ avec de nouveaux actionnaires et une nouvelle usine, c’était le moment idéal pour se lancer.

En quoi le dispositif de certification mis en place par les CCI wallonnes est bien adapté aux PME et conçu pour les accompagner le plus efficacement possible ?

Ph.B. Le programme de l’UNITAR se déroule en 3 phases et prend 6 ans en tout. La première phase de 3 ans a pour but d’induire la discussion stratégique et de mettre en place 30 actions. Il donne déjà droit à une certification, mais il y a moyen d’aller plus loin avec un deuxième cycle de 2 ans principalement axé sur l’économie circulaire et un troisième consacré pendant un an à la gouvernance.
Nous voulions que ce certificat soit adapté aux plus petites entreprises, qu’il soit reconnu à l’international, mais surtout qu’il ait une valeur partout en Belgique car nous sommes convaincus que rapidement, les pouvoirs publics vont mettre des critères de développement durable dans les marchés publics et que les grands donneurs d’ordres privés vont également suivre.

Quels sont les freins et les moteurs pour s’inscrire dans cette certification?

J.P. Les freins sont nombreux. L’essentiel, c’est d’avoir une vision et d’être convaincu. Le projet doit rencontrer l’adhésion du patron, de son conseil d’administration et du personnel. Même si au départ, il y a des réticences, il faut se lancer avec ceux qui ont envie d’avancer et découvrir les choses pas à pas. La taxonomie est un des éléments complexes à apprivoiser et il est par exemple difficile de décoder la législation européenne et d’y répondre. Nous avons donc besoin de pas mal de compétences et d’éléments techniques pour progresser, mais les échanges d’expériences entre candidats à la certification peuvent aider.

P.H. Le métier d’avocat a tendance à changer ; nous sommes de plus en plus actifs au niveau du conseil et nous avons notre rôle à jouer dans le processus de développement durable. Les petites entreprises qui n’ont pas les moyens d’engager un juriste peuvent faire appel à un avocat comme conseiller pour les aider dans leurs démarches, notamment dans le décodage des législations. Comme dans la médecine chinoise, l’avocat doit être consulté avant pour éviter les ennuis après et il doit être abordable à tous points de vue. Au niveau financier, mais également au niveau du vocabulaire par exemple.

B.M. A mon avis, un des plus gros moteurs de la certification est probablement l’ODD 17 qui est le développement de partenariats. Grâce à l’échange de bonnes pratiques, chacun peut apprendre de l’expérience des autres entreprises. Même les grandes entreprises nous confient qu’elles ont parfois beaucoup à apprendre des plus petites structures.
Ce qui permet également de s’engager dans la démarche, c’est de prendre confiance en valorisant d’abord ce qu’on fait déjà sans vraiment se rendre compte que c’est du développement durable, et puis d’avancer de la même manière dans d’autres domaines.
Nous sommes par contre conscients que la vulgarisation du vocabulaire est un aspect que l’on doit encore améliorer. Qu’entend- on exactement par durable ? Quelle est la signification exacte de la taxonomie ? Nous travaillons en ce sens, notamment avec Febelfin (Fédération du secteur financier).
Enfin, les entreprises sont invitées à agir et à prendre en compte la part de risque. Les facteurs climatiques, les risques de pénuries ou de délocalisation doivent notamment être envisagés.

O.G. Pour moi, le plus gros frein, c’est qu’on a tous le nez dans le guidon. Pour se lancer dans une démarche de certification, il faut non seulement que le moment soit propice, mais il faut également convaincre les investisseurs et le personnel. Dans notre cas, lorsque l’idée de la certification en développement durable de la CCI a été présentée en conseil d’administration, Noshaq a directement été séduit par la démarche. Le soutien est donc venu à la fois de la direction, du conseil d’administration mais aussi du personnel.
Nous avons donc décidé de lancer le projet avec les plus motivés qui ont ainsi été d’excellents relais. Nous avons également utilisé les ODD comme arguments marketings pour mettre en évidence la qualité de nos produits conçus de manière éco-responsable, car, sans en être conscients, on était déjà actifs sur certains de ces 17 Objectifs de Développement Durable.

Ph.B. Un autre atout pour les entreprises qui s’engagent dans la certification est également de pouvoir ainsi attirer de nouveaux talents pour lesquels le développement durable et la culture d’entreprise sont devenus des aspects plus importants que le package salarial.

J.P. Je suis un convaincu des écosystèmes. Il faut aider les PME à prendre les bonnes décisions. Le fait d’avoir des projets concrets ensemble, de collaborer en réseau pour collectiviser et travailler à plusieurs avec des objectifs communs et des projets porteurs apporte une réelle dynamique aux entreprises.


*** POUR EN SAVOIR PLUS ***

La certification CCIW en développement durable

La CCI aide les entreprises à ancrer la démarche durable dans tous les aspects de leur activité et à atteindre leurs objectifs de durabilité. Avec la certification CCIW et un plan d’action fait sur mesure, les candidats à la certification pourront prétendre à des gains appréciables, tant pour leur entreprise que pour la société et l’environnement.
La CCIW a conclu un accord de partenariat avec CIFAL, l’antenne régionale de l’UNITAR, l’agence de l’ONU en charge du développement durable, qui délivrera ce certificat reconnu internationalement. http://www.cciwallonie.be/wp-content/uploads/2021/03/Flyer-A4-ODD-CCIW.pdf


Besoin d’aide ? D’inspiration ?

D’autres organismes et institutions proposent d’aider les entreprises dans leurs démarches vers le développement durable.

Union Wallonne des Entreprises (UWE)

Site dédié aux Objectifs de Développement Durablepour les entreprises wallonnes : https://sdgs-entreprise.be/

Site dédié à la gestion de l’Environnementen entreprise : https://environnement-entreprise.be/

Site dédié à la gestion de la Mobilité en entreprise : http://www.mobilite-entreprise.be

Site dédié à la gestion collective et durable des Parcs d’Activité Economique : https://www.cpad.be/

Service Public de Wallonie

Outilspour intégrer le développement durable dans l’entreprise: https://developpementdurable.wallonie.be/

Chèques économie circulaire : https://cheques-entreprises.be/cheques/ecocirculaire

Groupe Sowalfin
https://www.sowalfin.be/eco-transition/
Easy’Green : aide à la transition énergétique, à la diminution des émissions de CO2, aux projets éco-innovants et d’économie circulaire: http://www.novallia.be/reussir-ma-transition-energetique/easygreen-cest-quoi

Wallonie Design
WANDERFUL.STREAM : accompagnement de projets en économie circulaire:
https://walloniedesign.be/nos-actions/presentation-du-projet-wanderful-stream/

SRIW
NEXT : levier financier dans des projets d’économie circulaire en phase de croissance.
https://next.circularwallonia.be/#


Cette table ronde a été publiée dans le magazine de la CCIlvn L’Hobbiz (éditions Liège et Verviers), que les membres de la CCIlvn peuvent consulter sur https://www.ccilvn.be/services/lhobbiz/

(photos: Patrick Moriamé)

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