Dans nombre d’entreprises, un paradoxe s’est installé entre conscience durable et inaction. Comment lever les obstacles ?
La question de la durabilité s’impose de plus en plus dans l’esprit de la plupart des chefs d’entreprise. Cette réalité est confirmée par les récents chiffres de l’observatoire des PME wallonnes, réalisé par Ipsos pour CBC Banque en mars dernier. On y apprenait ainsi que 7 entrepreneurs sur 10 ont conscience de l’importance de la durabilité tant dans leurs activités et que pour leur image.
Tendance de fond encouragée par les crises
« Le travail de sensibilisation aux enjeux et à l’intérêt de la durabilité pour le business n’est pratiquement plus nécessaire » souligne d’emblée Randy Francart, expert Entreprises et membre du comité durabilité de CBC Banque. « Voici plusieurs années déjà, notre banque a développé un parcours d’accompagnement RSE (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance) qu’elle met à la disposition des entrepreneurs wallons, clients de CBC, souhaitant s’engager dans cette voie. En même temps qu’elles fragilisaient leur situation financière, la crise sanitaire puis la guerre en Ukraine ont poussé beaucoup d’entreprises à s’interroger sur leurs pratiques. Cela a clairement accentué la tendance de fond. »
Chez Broptimize Energy, Sébastien Menu acquiesce. Sa société basée à Waremme guide les entreprises dans la gestion de leurs contrats énergétiques et la réduction de leur consommation. « Dans le passé, nous devions faire naître les projets nous-mêmes au sein des organisations que nous démarchions. Désormais, ce sont elles qui nous contactent pour que nous les accompagnions dans la mise en œuvre de leurs plans. »
« Nos clients sont des PME et des grands groupes dont les dirigeant(e)s ont soit une prise de conscience personnelle, soit une exigence de la part d’un client, soit un besoin urgent de mesurer et formaliser ce qu’elles font en matière de critères ESG » ajoute Stéphanie Fellen, CEO de Smart2Circle à Liège.
Transparence
Pour beaucoup, l’argument durable est devenu une nécessité commerciale. Il s’agit de répondre aux attentes des clients – entreprises ou citoyens lambda – eux aussi de plus en plus mobilisés par l’enjeu. « Dans le secteur agroalimentaire, le changement est vraiment palpable depuis trois ou quatre ans », souligne Vincent Caulier, CEO de la brasserie Caulier à Péruwelz. « Les consommateurs veulent, à juste titre, de la transparence. »
Outre les clients, ce sont les collaborateurs ou les candidats qui pourraient tôt ou tard mettre au défi les dirigeants quant à leurs ambitions ESG. Et sans réponse concrète, le risque est réel de les voir tourner le dos. Une éventualité à laquelle Sébastien Menu se sent toutefois peu exposé. Le CEO voit de jeunes ingénieurs se bousculer pour intégrer son entreprise, lorsque d’autres peinent à recruter ces profils en pénurie. Il en va de même chez Caulier, dont les employés ont trouvé un motif de fierté personnelle dans la réalisation d’objectifs durables.
Paradoxe
Pour autant, l’observatoire PME de CBC Banque établit que moins d’un entrepreneur sur 5 considère aujourd’hui la durabilité comme une priorité à court terme. Le retour des prix de l’énergie à des niveaux d’avant la crise aurait réduit le sentiment d’urgence.
Très peu sont donc prêts à passer à l’action dès aujourd’hui, d’autant qu’ils ne se sentent pas forcément équipés. « Ressources financières et humaines, manque de moyens pour recueillir et traiter les données, absence de modèle comparable à suivre: les freins, en particulier dans les petites structures, restent nombreux » note Randy Francart. Mal informées, les entreprises ne savent pas non plus vers qui se tourner pour obtenir du conseil. « Au final, elles prennent des initiatives isolées, mais peu se sont véritablement lancées dans des plans de transition structurés et mobilisateurs. C’est pour cela qu’avec notre parcours RSE, nous voulons les aider, depuis le lancement de notre diagnostic stratégique, au plan d’actions et à la mise en réseau. »
Une clé du succès
De fait, plusieurs PME démontrent qu’aujourd’hui, une politique RSE assumée n’est en rien une contrainte, mais bien une clé du succès. Sacrifier la mise en place d’un plan de transition aux exigences de rentabilité à court terme n’est plus gage de bonne gestion.
C’est ce qu’a compris la brasserie Caulier, il y a plusieurs années. Après une décennie de croissance importante où elle a vu son chiffre d’affaires multiplié par 20, ses dirigeants ont en effet remis la question de sa mission et du sens de son activité au sommet de l’agenda. « Nous voulions poursuivre notre croissance tout en restant fidèles aux valeurs qui ont guidé l’entreprise depuis sa création », précise Vincent Caulier. « En lien avec notre esprit familial et entrepreneurial, nous avons fait de la responsabilité sociétale un socle qui aide à la prise de décision cohérente envers nos collaborateurs et nos partenaires. Continuer notre croissance n’a de sens que si cela nous permet d’avoir un impact positif sur l’environnement et sur notre communauté. »
Cadre légal plus contraignant
Peut-être les dirigeants plus attentistes ignorent-ils encore que, progressivement, la loi leur imposera, directement ou par répercussion, un changement de pratique. D’ici à trois ans, la directive européenne sur la publication d’informations non financières (CSRD) exigera de 2.800 entreprises belges, identifiées via leur chiffre d’affaires, leur bilan et leur nombre d’employés, à publier un rapport non financier.
Pour établir celui-ci, ces dernières se tourneront à leur tour vers leurs fournisseurs afin d’évaluer leurs propres efforts RSE, enclenchant ainsi une dynamique durable d’un bout à l’autre des chaînes de valeur. « On sent vraiment que le mouvement se prépare, en particulier dans le B2B » confie Randy Francart. « Les questionnaires RSE que les sociétés adressent à leurs fournisseurs sont de plus en plus détaillés. »
Vers plus de financements verts
Sans oublier l’argument financier, bien sûr. Par le biais de nombreuses initiatives et de prises de position, tant les autorités financières que les grands fonds ont, ces dernières années, initié une réorientation des flux d’investissement vers des activités plus vertes. À terme, on peut s’attendre à ce que les banques soient, elles aussi, tenues de rapporter sur le caractère plus ou moins durable des activités qu’elles financent. Pour une PME, produire alors un bon bulletin RSE sera l’assurance de meilleures conditions de financement.
Plus fondamentalement, Randy Francart met l’accent sur les contraintes économiques qui changent dans un monde aux ressources limitées. Durant des décennies, lorsqu’elles étaient confrontées à des coûts en hausse, les entreprises ont eu coutume de transférer ceux-ci aux clients en augmentant leurs prix. « Mais quand les matières premières se raréfient, être plus sobre et circulaire est bien plus qu’une affaire d’efficience: c’est une question existentielle. Il s’agit de produire autrement pour pouvoir continuer à produire. »
Sur la photo, de gauche à droite, Vincent Caulier (brasserie Caulier), Stéphanie Fellen (Smart2Circle), Sébastien Menu (Broptimize Energy) et Randy Francart (CBC Banque).
(Source et photo : CBC Banque)